l'incendie de Rome
personne dans ta vie ?
— Il n’y a que toi, Délia…
Lucius s’arrêta soudain. Ils n’étaient pas encore chez Paul, mais les chrétiens étaient là. Une centaine d’hommes et de femmes s’étaient groupés sur un monticule, regardant en direction de l’incendie. Il reconnaissait certains d’entre eux, notamment Honorius, sa femme et leur petite esclave. Ni Paul ni Pierre n’étaient présents. En s’approchant, Lucius eut une impression étrange, sans qu’il puisse dire exactement en quoi elle consistait. Soudain, il en découvrit la raison : tous ces gens n’avaient pas l’air de souffrir, ils étaient sereins, ils paraissaient même heureux !
À leur tour, ils reconnurent Délia et l’appelèrent à grands cris :
— Viens, Délia ! Viens voir avec nous le grand embrasement !
— La capitale des païens brûle !
— Jésus arrive !
Lucius se souvint des paroles de Pierre : « La venue du Seigneur se fera dans un grand embrasement. » Aussi incroyable que cela paraisse, ils pensaient tous que c’était arrivé, ils prenaient ce drame pour un don du ciel ! Après tout ce qu’il venait de voir et d’endurer, c’était plus qu’il n’en pouvait supporter. Il les apostropha vivement :
— Où est votre amour d’autrui ? Vous ne voyez donc pas que ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui brûlent ? Vous croyez que votre Dieu annoncerait sa venue en faisant périr des innocents ?
Mais ils ne l’entendaient pas. Ils continuaient à parler du grand embrasement et à appeler Délia. Celle-ci eut un geste d’excuse en direction de Lucius.
— Ils se trompent, mais je dois aller avec eux…
Lucius pensait à ses parents transformés en cendres.
Voir ces gens se réjouir lui était insupportable. Sans ajouter un mot, il tourna le dos à Délia et prit la direction de l’incendie pour accomplir sa mission.
Il fit le chemin du retour bouleversé tant par ce drame collectif que par son drame personnel. Malgré le danger que cela représentait, il se porta le plus près possible du front de l’incendie, puis descendit vers le sud en restant au contact avec les flammes. Mais il avait beau mobiliser son attention, il ne voyait rien de suspect. Il n’y avait que des cadavres horribles et des malheureux errant dans un décor de fin du monde.
Il était revenu aux abords du Forum et il avait juste dépassé le temple de Vénus Cloacine, qui n’était plus qu’un amas de pierres fumantes, lorsqu’il aperçut enfin ce qu’il cherchait : trois civils en armes se tenaient à une dizaine de pas de lui. N’étant pas en mesure de s’opposer à leurs projets, il se contenta de s’immobiliser et de les observer. Mais, à sa grande surprise, au lieu de scruter les décombres à la recherche de quelque chose à piller, ils se dirigèrent directement vers lui, l’épée brandie. Ce n’étaient pas de simples voleurs, mais des tueurs chargés de l’assassiner.
Il fallait fuir, mais ils avaient pris soin de se placer de l’autre côté de l’incendie, lui coupant toute possibilité de retraite. Il n’avait d’autre choix que d’aller vers eux ou vers les flammes. Face à leur groupe, il n’avait aucune chance. Il choisit les flammes.
Une maison patricienne était en train de brûler, mais elle tenait encore debout. Sans trop réfléchir, il en franchit le portail sans dommage. Après avoir hésité un instant, les trois hommes le suivirent, levant haut leur glaive. Lucius, de son côté, cherchait un moyen de sortir, lorsqu’il entendit un grand craquement derrière lui : le portail s’était écroulé sur ses poursuivants, alors qu’ils le franchissaient à leur tour.
Il revint sur ses pas, enjamba leurs corps au milieu des ruines incandescentes et parvint à fuir le brasier. Au danger de l’incendie, s’ajoutait celui de tueurs chargés de l’assassiner. Il n’était plus question de mission, il aviserait plus tard à ce qu’il fallait faire. Pour l’instant, il ne souhaitait qu’une chose : regagner le plus vite possible la résidence du Vatican et se mettre à l’abri.
11
La chute de Troie
Le lendemain matin, le feu n’avait pas cessé. Lucius Gemellus avait passé la nuit dans les jardins de la villa du Vatican, qui avait pris des allures de ruche ou de fourmilière. Elle abritait pêle-mêle le personnel de Tigellin, la cour, des soldats, des
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