L'inconnu de l'Élysée
bout de l'échelle sociale, ces revenus aussi pharamineux que scandaleux, ces scandaleux golden-parachutes et stock-options , ces scandaleux profits des sociétés du CAC 40 qui augmentent leur rentabilité en procédant à des licenciements et en délocalisant, c'est-à-dire en provoquant chaque fois des milliers de drames humains.
Le rapport du CERC explique la non-aggravation de la fracture sociale par l'augmentation des dépenses consacrées à la protection sociale : en 2005, elles représentent 29,6 % du PIB, soit trois points de plus qu'en 1993. Une augmentation qui s'est faite largement par un accroissement substantiel de la dette publique.
À partir de cette vision globale exempte de tout affect, il est plus facile de reprendre le cours de l'histoire au moment où Jacques Chirac, après avoir mis la « fracture sociale » au centre de ses discours de candidat à l'élection présidentielle, au printemps 1995, s'est trouvé obligé, une fois élu, pour des raisons politiques, d'intégrer certaines des exigences programmatiques de ses principaux soutiens. Quelques éléments de défiance à l'égard de l'Europe et de la Banque de France pour satisfaire Philippe Séguin. Quelques bribes du libéralisme à tout crin prôné par Alain Madelin. À droite comme à gauche, la quête d'un élargissement de leur base électorale conduit les candidats à formuler des programmes « oxymoriens » qui portent en germes de nombreuses frustrations, voire de profonds rejets. C'est ainsi que, pour respecter le principal engagement présidentiel, Alain Juppé, tout nouveau Premier ministre, créa en juin 1995, entre autres mesures sociales, une « allocation dépendance » pour les personnes âgées, entraînant ipso facto la démission d'Alain Madelin, ministre de l'Économie et des Finances, qui refusait d'augmenter la TVA et divers impôts pour financer ces nouvelles mesures et remplir les caisses de l'État. Chirac et Juppé virent ainsi une partie de leur base électorale s'éloigner instantanément…
Dans le même temps, c'est-à-dire dès les premières semaines, le gouvernement Juppé se retrouva soumis à la pression de ce que les technocrates appellent des « facteurs exogènes ». La Bourse n'a pas du tout apprécié les premières mesures du nouveau gouvernement, et les valeurs n'y ont cessé de plonger. Le franc a été attaqué, les opérateurs étant persuadés qu'une dévaluation était inévitable, malgré un Helmut Kohl qui jouait les bons petits camarades en faisant acheter massivement de notre monnaie. Enfin, pour ne rien arranger, le président de la République, harcelé par Philippe Séguin, critiquait le gouverneur de la Banque de France, s'en prenait aux « gnomes de Londres », et proposait un nouveau référendum sur l'Europe. Alain Juppé se trouvait de surcroît mis en difficulté par une révélation du Canard enchaîné selon laquelle le loyer de son appartement, fourni par la Ville de Paris, ne correspondait pas au prix du marché. Last but not least , la conjoncture s'était retournée durant l'été. Pour avoir la moindre chance de réussir, la politique du Premier ministre aurait eu besoin du maintien de la croissance et d'une baisse du chômage. Or, à partir de septembre 1995, la courbe du chômage reprenait sa pente ascendante. Jacques Chirac et Alain Juppé furent alors confrontés à un dilemme du même type que celui auquel François Mitterrand et Pierre Mauroy s'étaient heurtés en mars 1983. Ils estimèrent que leur responsabilité historique était alors de faire adhérer la France à la monnaie européenne, ce qui impliquait le respect des désormais fameux « critères de convergence ». Le président de la République se retrouvait contraint de fixer de nouveaux objectifs qu'il annonça le 26 octobre 1995 à la télévision : réduire les déficits pour pouvoir adhérer à la monnaie européenne dès le 1 er janvier 1999, donc remplacer une politique sociale par une politique de rigueur, la réduction des déficits devant permettre la baisse des taux d'intérêt et donc la reprise de la croissance qui, à son tour, favoriserait une reprise de la baisse du chômage. Les promesses de réduction de la « fracture sociale » étaient décalées dans le temps. Alain Juppé se limita à amplifier la baisse des charges sociales sur le travail qualifié et à créer des zones franches urbaines pour favoriser l'implantation (ou la réimplantation) d'entreprises et de
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