L'inconnu de l'Élysée
puisse administrer désormais l'économie. » Jospin venait de reconnaître ce que les hommes politiques ne reconnaissent jamais dans leurs campagnes électorales, obnubilés qu'ils sont par le souci de séduire. Beaucoup d'électeurs socialistes, estimant que le Premier ministre les avait trahis, ne votèrent pas pour lui en avril 2002.
La mondialisation de l'économie, amorcée dans les années 80, s'est accélérée durant la décennie suivante avec l'émergence de nouvelles grandes puissances économiques comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, et l'apparition de nouveaux concurrents. Elle a contribué à déchirer le tissu industriel français et à provoquer de nombreuses délocalisations. La signature du traité de Maastricht a dans le même temps favorisé l'emprise croissante de l'Europe sur les lois et règlements nationaux, et a réduit considérablement la marge de manœuvre de la France dans la conduite de sa politique économique et sociale.
Dans une génération, les historiens tiendront davantage compte de ce contexte pour porter un jugement sur les hommes politiques et leur action. Ils se montreront probablement plus sévères pour leurs promesses irréalistes 6 que pour la politique qu'ils auront effectivement menée. Les analystes de demain liront avec attention le rapport n? 7 du CERC portant la marque de Jacques Delors qui, aux côtés de François Mitterrand, fut lui aussi confronté à pareil décalage entre les cent promesses du candidat de la gauche unie visant à « changer la vie » et les dures et âpres réalités économiques de l'heure. Six mois après l'arrivée de la gauche au pouvoir, il avait proposé de faire une pause dans les réformes et, en mars 1983, avait réussi, contre l'avis des « visiteurs du soir 7 », à convaincre François Mitterrand de changer radicalement de cap. Pour être contrasté, le tableau de la France en transition n'est pas apocalyptique. Il note que le revenu disponible par habitant, en pouvoir d'achat, s'est accru de 22 % de 1993 à 2005, soit un gain moyen annuel de 1,7 %, mais souligne le décalage entre cette réelle croissance du revenu et l'impression d'une baisse par tête du pouvoir d'achat exprimée dans les sondages et les enquêtes d'opinion. Ce décalage constitue probablement un début d'explication – sinon la principale – de l'incroyable malentendu qui semble s'être instauré entre Chirac et les Français. « Éclairer les termes de cette polémique est d'importance, souligne à ce sujet Jacques Delors. Sans reconnaissance commune des faits, il est difficile de mener un dialogue social ou un débat politique. Il est dès lors important de comprendre les sources de la divergence entre le sentiment de l'opinion et l'observation statistique. » Il évoque par exemple le très vif sentiment de hausse des prix lié au passage à l'euro : « Il y a indiscutablement dans l'opinion publique le sentiment que la vie est désormais plus difficile. » Le rapport essaie de déterminer les origines de ce sentiment : parmi elles, la « pression des besoins suscités par les nouvelles offres de consommation », le fait que « le revenu de la majorité des Français n'est pas très élevé », mais peut-être avant tout « l'incertitude sur la situation de l'emploi et les revenus. Incertitude qu'éprouvent les salariés qui ne travaillent pas toute l'année, mais qui s'étend, au-delà, à tous ceux qui nourrissent un sentiment d'insécurité pour leur emploi… »
Une autre réalité se heurte à l'opinion commune mais devra un jour être prise en compte, elle aussi, dans le jugement porté sur l'action de Jacques Chirac : sous ses deux mandats, il n'y a pas eu aggravation globale de la « fracture sociale 8 » : « Durant les années 90 et jusqu'en 2004, les inégalités de revenus comme la pauvreté ont été globalement stables en France, alors que nombre de pays connaissent actuellement une aggravation des inégalités de revenus. Cette stabilité fait suite à une période de baisse au cours des deux décennies précédentes. » Le rapport explique que l'opinion est sensible, à juste raison, aux situations extrêmes, abondamment illustrées par les images que diffuse la télévision : reportages sur l'augmentation des repas fournis par les Restos du Cœur, sur les tentes de SDF dans Paris, sur les SDF qui chaque hiver meurent de froid, de vieillards isolés succombant l'été à la canicule, etc. Et puis, à l'autre
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