L'inconnu de l'Élysée
refusé de prononcer un seul mot de russe. »
Nous en arrivons au bureau du président, marqueté de bois de rose et de violette, au dessus de maroquin rouge. De style Louis XV, il est attribué au grand ébéniste Charles Cressent. C'est le président Félix Faure qui le fit installer au palais de l'Élysée.
Jacques Chirac se montre réticent à poursuivre cette visite dont il ne voit guère l'utilité. Il ressasse ses : « Mais ça n'a aucun intérêt… »
Il ne me présente pas la pendulette de voyage « L'Épée » en bronze et laiton dorés, poignée en laiton tourné, mais entame la description suivante :
« Voici une petite coupe anthropomorphe qui est Bembe. Elle n'est pas laide. »
Puis il me montre en souriant une statuette africaine :
« Je l'aime beaucoup, parce que je trouve qu'elle ressemble, à la barbe près, à Kofi Annan. Elle a quelque chose de lui. Je le lui ai dit. C'est une statuette Kongo… »
Je désigne deux petites statuettes amérindiennes et hasarde.
« C'est olmèque ?
– C'est madame de Villepin qui me les a ramenées d'un voyage en Inde. »
Fatigué de jouer les guides, le président fait un dernier effort pour décrire quelques-uns des « petits riens » qui foisonnent sur son bureau : « Un objet que les lettrés japonais posaient sur leurs papiers pour empêcher qu'ils ne s'envolent… Une statuette offerte par David Lee, qui, selon lui, a été faite par un moine bouddhiste. S'il le dit, ce doit être vrai… Voici des monnaies de Calédonie… »
Installé à son bureau, le président peut voir, légèrement sur sa gauche, deux portraits : un petit, de la dimension de deux Photomaton, celui du général de Gaulle, et un beaucoup plus important, celui, très posé, de Martin, son petit-fils, œuvre de Bettina Rheims.
Une clochette en bois : « C'est Maurice Ulrich qui me l'a ramenée d'un voyage. » Enfin « une petite montre de Takanohana, le grand, le très-très grand champion »…
En terminant la visite, le président lâche : « Ça n'avait vraiment pas d'intérêt particulier. Tout cela n'a de valeur que pour moi… »
Nous passons sous le lustre à cinquante-six lumières, bronze doré et cristaux, de la fin du xix e , et foulons le tapis de savonnerie Louis XIV, pour regagner la salle de conférence mitoyenne du bureau présidentiel et y reprendre nos entretiens.
Pour compléter mon approche de la sphère intime du président Chirac, il me faudrait avoir accès à sa bibliothèque. Par son plus proche collaborateur, je sais que l'affaire est délicate dans la mesure où ses livres sont entreposés dans sa chambre.
En attendant de trouver le sésame, j'ai glané quelques informations sur ses lectures. Il a aimé les auteurs russes : Pouchkine, évidemment, mais aussi Dostoïevski. Il a dévoré depuis belle lurette, comme on l'a vu, tous les livres d'André Malraux, et en possède deux dédicacés par l'auteur. Aimé beaucoup les romans de cape et d'épée d'Alexandre Dumas dont il a fait entrer les cendres au Panthéon, le 30 novembre 2002 : « Avec vous c'est l'enfance, ses heures de lecture savourées en secret, l'émotion, la passion, l'aventure, le panache qui entrent au Panthéon. Avec vous nous avons été d'Artagnan, Monte Cristo ou Balsamo, chevauchant les routes de France, parcourant les champs de bataille, visitant palais et forteresses. Avec vous nous avons emprunté, un flambeau à la main, couloirs obscurs, passages dérobés et souterrains. Avec vous nous avons rêvé. Avec vous nous rêvons encore. […] Dumas incarne la France dans ses contradictions les plus intimes. C'est aussi pour cela que les Français l'aiment tant. »
Malraux et Dumas étaient deux auteurs détestés par François Mitterrand… Les bibliothèques des deux hommes d'État n'ont d'ailleurs pas – ou pratiquement pas – de livres en partage. Fromentin, Barrès, Proust, Montherlant, Chardonne, Drieu, qu'aimait François Mitterrand, n'ont jamais inspiré son successeur. Et je doute fort que le provincial de Jarnac ait éprouvé un quelconque engouement pour Francis Carco dont l'ancien député de la Corrèze a lu tous les livres, encore moins pour La Négresse blonde de Georges Fourest.
Questionnant l'intéressé pour savoir s'il est vrai qu'il connaissait par cœur La Négresse blonde , je l'entends me répondre :
« C'est vrai que je savais par cœur La Négresse blonde , ce grand moment de la littérature française… Vous
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