L'inconnu de l'Élysée
à propos de ravitaillement et d'utilisation de « points » pour l'habillement.
À partir de là, je ne pouvais faire l'économie d'une enquête en Corrèze…
Louis Chirac est né le 29 octobre 1868 à Beaulieu-sur-Dordogne, de François Chirac, charpentier, installé place du Champ-de-Foire, et d'Anna Moutet. Il est longtemps resté attaché à son village natal qui ne manqua pas d'atouts pour retenir ses enfants. Si les chantiers de construction de gabarres commencent à péricliter à cause du développement du chemin de fer, le château d'Estresses, où les Normands furent arrêtés par le roi Eudes en 889, ainsi que son abbatiale Saint-Pierre, fondée au ix e siècle, rattachée à Cluny au xi e siècle, défient le temps. Louis a-t-il été marqué, quand il avait 6 ans, par la mort à l'âge de deux mois de son frère Pierre ? Quelles étaient les relations des Chirac de la place du Champ-de-Foire avec les autres Chirac, cultivateurs de Beaulieu ? Je sais seulement que Louis, comme son copain Bouffard, ont été remarqués par l'instituteur et incités à poursuivre leurs études. Le charpentier a accepté que son fils emprunte l'« ascenseur social » et s'est pour cela saigné aux quatre veines, comme on disait alors…
Louis passe son brevet élémentaire le 1 er avril 1885 et intègre ensuite – comme Bouffard – l'École normale de Tulle, avec la place de major de sa promotion. Il passe son brevet supérieur le 30 juillet 1888 et est nommé, le 1 er octobre, instituteur-stagiaire à Beaulieu. Rien ne pouvait lui faire davantage plaisir, car non seulement il aime Beaulieu plus que tout au monde, mais avec ses mille francs de traitement annuel, il va pouvoir aider ses parents, usés, ainsi qu'une vieille grand-mère, qui, sans lui, ne pourraient mener une vie décente 3 .
Tout le monde semblait être satisfait du jeune instituteur bellocois quand, en 1893, deux rapports d'inspection sévères sont rédigés contre lui. Le premier, le 9 juin, estime qu'il a mal expliqué le mot « liberté », qu'il surveille mal le travail de ses élèves, et qu'il a écrit au tableau noir « Mac Maon », en oubliant le h, et « Crèvy » au lieu de Grévy. Le second, le 18 novembre, lui reproche de n'avoir pas préparé ses leçons, de lire mal la fable du Héron , et conclut : « Il ne réfléchit guère, son enseignement est banal, terre à terre, sans idéal. » Ces rapports critiques sont-ils inspirés par une cabale politique fomentée à son encontre ? Il est soupçonné d'être « mielvacquiste » : avait-il pris fait et cause pour Michel Mielvacque de Lacour, député républicain progressiste et socialiste de Brive (1893-1898), à la réputation sulfureuse ? ou s'agit-il – plus probablement – d'une cabale étayée sur ses relations avec un homonyme du député, Marcel Mielvaque 4 , né à Beaulieu en 1867, soit moins d'un an avant Louis Chirac ? Toujours est-il qu'en 1894, le jeune instituteur est muté à Ségur, à une bonne centaine de kilomètres. Il râle, tempête contre ce qu'il estime être une grave injustice. Il écrit à l'inspecteur d'académie pour exprimer son mécontentement, protester qu'il est le principal soutien de ses parents et de son aïeule « qui ne vivent et n'ont jamais vécu que pour moi ». À Ségur il est en effet dans l'impossibilité de leur venir en aide, d'autant qu'en quittant Beaulieu il a perdu un certain nombre d'avantages, notamment en ne donnant plus de cours particuliers. Il estime cette perte à quelque trois cents francs par an. Il sollicite une nouvelle affectation dans le canton de Beaulieu.
Ses démarches pressantes ne sont guère appréciées : « M. Chirac a le tort grave de n'avoir pas confiance uniquement en ses chefs… » Il n'en continue pas moins à réclamer son changement d'affectation, car il s'est marié avec Honorine Dumay, institutrice à Cahus, dans le Lot, et serait même prêt à quitter la Corrèze pour l'y rejoindre. Finalement, il obtient partiellement satisfaction. L'inspection d'académie le nomme à Collonges en mai 1897, le rapprochant ainsi de Beaulieu, et son épouse est affectée pour sa part en Corrèze, ce qui met fin à près de deux années de séparation.
Il était temps : Abel Chirac naît en effet le 6 janvier suivant à Beaulieu, au domicile des parents de Louis.
Louis ne reste que quelques mois à Collonges. Il est muté jusqu'en 1901 dans la petite commune médiévale de Donzenac,
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