L’Inconnue de Birobidjan
lâon aurait voulu dissimuler à une fouille. Outre les vêtements et les objets de commodité habituelle, la chambre de Miss Gousseïev contenait une grande quantité de documents relatifs au théâtre. Des brochures et scenarii, le plus souvent ronéotés ou tapés à la machine, certains avec des interventions manuscrites du témoin. Parmi les livres, quatre sont en langue russe. Trois recueils de poèmes, dont un dâun auteur connu, Boris Pasternak. Le quatrième est un ouvrage technique sur le théâtre dâun certain Constantin Stanislavski. Selon la procédure habituelle, le FBI a saisi lâensemble des documents et des livres pour les examiner plus attentivement. Nous aurons les résultats complets des analyses dâici quelques jours.
Cohn marqua une pose. Il reposa la fiche quâil tenait pour en prendre une autre, jeta un coup dâÅil vers Marina et revint à Wood avec un aimable sourire.
â Avant la poursuite de lâaudience, je voudrais demander au témoin quelques précisions sur ces documentsâ¦
Je ressentis un pincement au creux du ventre. Les autres sâétaient redressés dans leurs fauteuils. Nixon et McCarthy dévisageaient Marina en plissant les paupières. On aurait pu voir leurs oreilles frémir. Marina fixait toujours ses mains. On aurait cru quâelle ne comprenait pas un mot dâanglais.
Wood battit des paupières.
â Procédez, monsieur le procureur.
â Miss Gousseïevâ¦
Cohn fit rouler son stylo entre ses doigts. Encore un silence, comme pour laisser le temps à Marina de relever la tête.
â Miss Gousseïev, nous nâavons pas trouvé de lettres chez vous. Aucune lettre dâaucune sorte. Câest inhabituel. On a toujours du courrier chez soi. Vous nâavez pas dâami ?
Marina se décida à le regarder. Un regard lointain, surpris.
â Non⦠Pas dâami.
â Vraiment personne ?
â Vous savez dâoù je viens. On ne se fait pas des amis facilement quand on est étrangère. Encore moins quand les gens comprennent que vous êtes russe.
â Certain vous ont aidée, tout de mêmeâ¦
â Je connais ceux avec qui je travaille. Ils sont gentils. Mais ce ne sont pas des amis⦠Peut-être est-ce ma faute. En Russie, on se méfie de tout le monde. On ne sait jamais de quoi les amis sont capables. Même au Birobidjan, câétait difficile.
â Mrs Dorothy Parker, lâécrivain, est-elle une amie pour vous ?
Il y eut un nouveau silence. Aussi dense quâune pierre.
Ãa y était. Cohn avait lancé son hameçon.
Marina fronça les sourcils, entrouvrit la bouche sans répondre. Cohn poussa son avantage, la voix aussi suave que sâil proposait une valse à une sexagénaire.
â Vous connaissez Dorothy Parker ?
â Oui. Jeâ¦
â Dans votre bibliothèque, nous avons trouvé un livre ayant pour titre : The Portable Dorothy Parker . Sur la page de garde, il y a une dédicace : Pour ma très tendre et très chère Maria, qui peut compter sur ma fidélité de guerrière et sur toutes ces autres petites choses qui feront de nous des femmes invincibles. Cette dédicace est datée du 20 septembre 1947. Je suppose quâelle vous est adressée et que cette « Maria », câest vous, puisque vous vous faites appeler Maria Apron ?
â Oui.
â Vous connaissez bien Dorothy Parker, Miss Gousseïev ?
â Je lâai rencontrée il y a cinq ans, quand je suis arrivée à Hollywood. Elle mâa aidée. Câest elle qui mâa conseillé de quitter Hollywood pour New York.
â Savez-vous quâelle est communiste ?
â Non. Et je ne crois pas quâelle le soit. Elle ne mâa jamais rien dit qui me le fasse penser.
â Vous ignorez que le FBI a interrogé Mrs Parker sur ses activités politiques il y a deux semaines, et quâelle a reconnu être communiste ?
â Oui.
â Les journaux en ont pourtant parlé.
â Je ne lis pas les journaux. Je ne les crois pas.
â à Hollywood, vous ne parliez pas de politique avec Mrs Parker ?
â Non. Jâai su ce quâelle avait fait avant la guerre. Quâelle avait fondé la Ligue antinazis
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