L’Inconnue de Birobidjan
arrêtés au cours des derniers jours avaient-ils prononcé son nom ou celui de Maria Apron ? Cohn avait-il déjà cette preuve dans sa besace et jouait-il au chat et à la souris ?
Sam et T. C. mâavaient mis en garde. Je faisais trop confiance à Marina. Trop vite, trop tôt. Jâétais un trop bon public pour son art et sa beauté. Un vrai Juif sentimental ! Marina nâavait-elle pas réussi pendant des années à se faire passer pour ce quâelle nâétait pas ? Une Juive !
« Si tu plonges, câest tout ce quâon a construit dans ce foutu journal que tu fais plonger », avait dit Sam. Il pouvait bien avoir raison.
Â
Tendu et de mauvaise humeur, je garai ma Nash sur le parking du Sénat. Je ne pus mâempêcher de guetter lâapparition des costards gris du FBI autour de la voiture. Mais non. Pas de comité dâaccueil. Pas plus à lâentrée de la salle dâaudience. Rien de surprenant. Le jeu continuait.
Personne ne sembla même prêter attention à mon entrée. Les sénateurs étaient déjà dans leurs fauteuils. La bande des trois, Wood, Nixon et McCarthy, plaisantait aimablement. Mundt feignait de sâoccuper. OâNeal nâétait plus là et Cohn nâétait pas arrivé.
Voir Shirley en train de papoter avec sa collègue me soulagea. Je songeai avec un soudain plaisir au dîner que jâallais lui offrir Chez George le soir même. Non seulement elle le méritait, mais nous pourrions mettre de côté toute cette histoire pendant quelques heures, et cela me ferait le plus grand bienâ¦
Lorsque jâapprochai de la table de sténo, elle me tourna le dos. Sa collègue sâenduisait le revers des mains de traits de rouges à lèvres pour en comparer les couleurs. Elle avait disposé une demi-douzaine de bâtons entre les rouleaux vierges des machines sténo. On aurait pu se croire dans une parfumerie. Vexé, je mâapprêtai à protester en plaisantant, histoire de montrer à Shirley que je nâavais rien oublié de ma promesse, mais elle se retourna le temps dâun éclair. Le temps de mâimposer le silence.
Merde, que se passait-il ?
Peut-être rien. Peut-être Shirley était-elle seulement prudente pour deux, et à juste titre. Pas la peine quâon nous voie papoter.
Je retrouvai mon humeur noire, mâassis à ma table et nâeus que le temps dâouvrir mon carnet de notes avant que Cohn apparaisse. Marina le suivait, le visage clos, indifférent. Lorsque les flics lui ôtèrent les menottes, elle reproduisit ce petit rituel que je connaissais bien : ôter son caraco blanc, faire voler ses doigts jusquâà sa tempe, y repousser une mèche derrière son oreille, vérifier les épingles de son chignon, reposer ses mains à plat devant le micro pour les regarder comme si elle était seule au monde.
Peut-être lâétait-elle. Ou ses copains de lâambassade, ces « autres », comme elle les avait appelés ce matin, veillaient-ils sur elle dâune manière ou dâune autre ?
Je mâobligeai à lâobserver comme si elle était la championne des espionnes. Câétait possible. Tout était possible. Et si cela devait devenir vrai, il était temps que je mâendurcisse le cÅur. Il risquait de saigner longtemps.
Les papotages cessèrent. Cohn eut un regard vers Wood. Le marteau tomba, le grand cirque commença.
â Monsieur le président, comme je vous lâai annoncé hier, le FBI a perquisitionné ce matin le logement new-yorkais de Miss Gousseïev. La perquisition sâest achevée vers midi aujourdâhui. Les agents qui lâont effectuée mâont fait parvenir un premier rapport, que je peux vous résumer.
Cohn écarta quelques fiches devant lui. Il avait toute lâattention de son public. Sauf celle de Marina, qui ne paraissait pas même écouter.
â Ce logement correspond à la déclaration préliminaire du témoin. Une chambre avec bain, au deuxième étage dâun immeuble de logements meublés, Hester House, 35 Hester Street, Lower East Side, Manhattan. Miss Gousseïev lâoccupe depuis le 17 février de lâan dernier. Les agents signalent nâavoir trouvé aucune cache ou objet particulier que
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