L’Inconnue de Birobidjan
est-ce je voulais laisser un message ?
Je donnai mon nom, remerciai Ulysse, rallumai une cigarette pour calmer mes doigts. Jâavais sérieusement besoin de réfléchir et de boire un verre. Je quittai lâagence et me retrouvai devant une bière et un bourbon dans un bar de Vernon Street. Je commandai aussi un sandwich. Quand le serveur le déposa devant moi, mon estomac me fit savoir quâil nâen voulait pas. Jâavais peur.
Une question tournait dans ma tête. Ils savaient, pourtant ils me laissaient faire. Pourquoi ?
Quand lâalcool eut glissé dans ma gorge, jâessayai de mettre un peu dâordre dans le chaos qui me servait de cervelle. Pas la peine dâessayer de deviner comment on mâavait repéré à la prison. Trop de réponses possibles. Au moins avais-je eu la présence dâesprit de ne pas y laisser la fausse autorisation de Shirley. Je lâavais toujours en poche.
Je nâhésitai pas longtemps. Désormais, cette autorisation bidon ne servirait plus quâà attirer des ennuis à Shirley. Je quittai mon siège pour aller faire un tour aux toilettes. Jâydéchirai en menus morceaux le papier à en-tête du bureau de Wood et les regardai disparaître dans les égouts.
En revenant mâasseoir jâétais déjà plus calme. Une idée mâétait venue. Ou plutôt revenue. Elle mâavait effleuré en vitesse sans que jây prête attention. Wood avait imposé un peu trop facilement ma présence aux audiences. Il y avait vu son intérêt, pas de doute. Pourtant, il nâavait pas pu décider seul. Il lui avait fallu obtenir lâaccord du reste des membres de la Commission. Et, soudain, je ne voyais aucune bonne raison pour que McCarthy et Nixon le lui aient donné.
Le huis clos de lâaudience était de la frime, du théâtre. Dans deux jours, trois au plus, ils épateraient la galerie en sortant un lapin de leur chapeau. Marina serait coupable, et ils en fourniraient la preuve. Avoir à ce moment un témoin à lâintérieur, un journaliste qui puisse raconter comment ils avaient mené lâaudience et découvert le pot aux roses, leur ferait une jolie publicité. Sauf que je ne pouvais pas être ce témoin. Ils le savaient. Il leur fallait un type souple. Un pisse-copie à leur botte. Une denrée qui ne manquait pas à Washington mais parmi laquelle on ne pouvait pas me compter. En ce cas, pourquoi mâavaient-ils ouvert la porte ?
Question qui sâajoutait à la précédente : puisquâils savaient, pourquoi les petits hommes gris du FBI nâétaientils pas déjà venus me cueillir ? Ces derniers temps, on les avait vus arrêter des journalistes pour moins que je nâavais fait.
Réponse : parce quâil se pouvait bien que depuis le début de cette histoire je me sois fait manipuler comme un enfant de chÅur.
Sâil nây avait pas de bonnes raisons pour quâils me laissent assister aux audiences, il pouvait y en avoir de mauvaises.
Je vidai un second verre et visualisai assez bien le tableau. McCarthy et Nixon avaient reniflé le bon coup. Rien ne pouvait leur plaire davantage quâun faux pas de ma part. Quâun journaliste de gauche, juif de surcroît, contourne laloi pour défendre une vraie espionne soviétique, et fausse juive, serait la preuve de ce grand complot anti-américain qui les faisait prospérer. Un divin cadeau pour les prochaines élections de novembre !
« Ãa bout ! » avait dit Sam. Il avait raison. Ãa faisait plus que bouillir.
Bien sûr, ils auraient besoin de preuves. Mais les preuves se fabriquaient. Il leur suffisait de me laisser patauger dans la vase, et je leur fournirais tout ce dont ils auraient besoin.
Ou peut-être ces preuves existaient-elles réellement ?
McCarthy et sa clique étaient-ils assez futés pour imaginer un piège si tordu sans avoir quelques certitudes ?
Ces réseaux dâespions juifs et soviétiques que le FBI mettait au jour, le vol des plans de la bombe A, Fuchs, tout ça nâétait pas un leurre. Staline avait fait sauter sa bombe dix mois plus tôt.
Pour la première fois, le doute se forgea une place sérieuse dans ma tête. Qui était vraiment Marina Andreïeva Gousseïev ?
Ces types que le FBI avait
Weitere Kostenlose Bücher