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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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cachés dans des lettres ? Des textes codés ?…
    Sam avait eu plus que raison. Ça bouillait.
    Mes épaules me brûlaient à force d’être crispées. On fut plusieurs à allumer une cigarette. Cohn se rencogna dans son fauteuil.
    â€” J’en ai terminé pour l’instant, monsieur.
    Wood hésita, ne sachant pas trop par quel bout reprendre l’interrogatoire. Il consulta du regard Nixon, qui secoua la tête. Le numéro de Cohn avait dû être mis au point avant l’audience. McCarthy intervint :
    â€” Miss Goussov, je voudrais qu’on en revienne à l’agent Apron. Que vous a-t-il confié de sa mission ?
    Marina le fixa comme si elle n’avait pas compris la question. La peur lui tirait encore les traits. Le bleu de ses yeux se voila. Ce fut étrange, comme si la couleur de ses iris se diluait soudain, puis remontait de l’ombre, plus bleue, plus dure encore. Sa main droite se posa sur sa poitrine, les doigts frémissant dans l’échancrure de la robe comme s’ils cherchaient à palper un collier disparu ou peut-être d’autres doigts, la trace d’une caresse.
    Une sorte de sourire lui revint en même temps qu’elle humidifiait ses lèvres. Elle secoua légèrement la tête. Sa voix redevint celle que l’on connaissait, seulement plus basse et plus lointaine dans le micro.
    â€” Rien, souffla-t-elle. D’abord, il ne m’a rien dit. Il voulait seulement m’aimer.

Birobidjan
    Février, mai 1943
    Jusqu’aux derniers jours d’avril, l’hiver pétrifia le Birobidjan. Depuis toujours, Marina était accoutumée aux grands froids, mais elle ne connaissait rien du long hiver de Sibérie. Le froid n’y était pas plus intense et tranchant qu’à Moscou. On n’était pas à Arkhangelsk ou dans l’enfer de la Kolyma. Pourtant, il pesait sur tout, comme s’il avait détaché cette part du monde du reste de la planète.
    L’immensité de la taïga avait perdu tous ses repères. La masse infinie de la neige effaçait toutes les formes. Les vastes forêts qui couvraient les collines avaient disparu. Creux et vallonnements se réduisaient au rythme monotone d’une houle immobile qui se répétait jusqu’à l’horizon telle une image sans début ni fin. Les plaines illimitées et les marécages devenaient des vides blancs où rien de vivant ne pouvait pénétrer. Les méandres des fleuves disparaissaient sous une glace si épaisse que les convois militaires préféraient y rouler pour atteindre la frontière mandchoue plutôt que de s’égarer à la recherche des routes et des chemins disparus.
    La vie se bornait à Birobidjan et aux hameaux éparpillés de la région. Autour des isbas et des granges clairsemées, les pointes noircies de palissades à demi englouties surgissaient de la neige, traçant les limites de jardins invisibles. Ici et là apparaissaient les traces furtives des lièvres ou des lynx toujours en quête d’un miracle de nourriture, les rails d’un traîneau ou d’une paire de skis. Mais l’air et le ciel n’étaientqu’un autre gouffre. Tous les bruits qui accompagnaient la vie s’y engloutissaient. Les aboiements des chiens, le sifflement des skis, le crissement des traîneaux, le martèlement des mules et des chevaux, même le bourdonnement des camions et des quelques camionnettes encore capables de rouler, tout s’étouffait comme une illusion. On eût dit que les ondes sonores étaient elles aussi saisies par le givre.
    La lumière alternait entre l’éblouissement le plus pur, le plus cristallin, et des ténèbres si compactes qu’elles suffoquaient l’éclat des lampes les plus puissantes. Des jours durant, le ciel demeurait sans un nuage, ou seulement strié de hautes traces. Les nuits étaient de glace pure et illuminées par l’acier des étoiles. La fumée des poêles montait des cheminées, maigrelette, aussi droite que des fils suspendus au bleu absolu. Puis le vent se levait. L’air se gorgeait d’une poudre cinglante de glace qui abrasait tout, les visages comme les rondins des isbas.
    D’autres fois, un vent de foehn inattendu venait de Chine. Une mollesse accablante assourdissait les gestes et les sons. Un

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