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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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femme assez grande, plus élégante que les autres, se retourna. Un jabot de dentelle flottait sur sa poitrine, adoucissant son visage sévère. Elle s’approcha sans desserrer les lèvres.
    â€” Polina, te souviens-tu de Larissa ?
    â€” Comment ne m’en souviendrais-je pas, Mikhaïl ? Nous étions toutes les deux commissaires à la V e Armée…
    â€” Hé ! Voilà votre chance, Marina Andreïeva ! s’exclama l’Oncle Abel. N’est-ce pas ce moment-là que vous jouez dans la pièce de Vichnevski ?
    â€” Ah oui ?
    Polina Molotova toisait Marina sans plaisir.
    â€” Ce doit être tout à fait du théâtre, cette pièce. Je ne vois pas grand-chose chez vous qui ressemble à Larissa… Elle était très blonde. Avec des yeux noirs. Très intelligents. Pas du tout votre genre. Elle n’aurait jamais porté une robe aussi…
    Polina Molotova s’interrompit. Son regard fila par-dessus l’épaule de Marina. Autour d’elles, on ne les écoutait plus.
    Il était là. Marina le sut avant même de se retourner.
    Un homme petit. Plus petit qu’elle ne l’avait imaginé. Vêtu d’une simple vareuse de drap vert. Ses pantalons bouffaient sur les bottes hautes. Leur cuir était impeccable, brillant comme un miroir. Autant que ses yeux bizarrement jaunes et fendus sous les épais sourcils. Ce qui la stupéfia, ce fut son teint pâle. Incroyablement pâle. Le teint de craie des bureaucrates qui ne voient jamais le jour. C’était aussi dû à sa peau grêlée. Elle captait bizarrement la lumière. Une peau abîmée, irrégulière, que les photos et les affiches ne montraient pas. Son visage était plus juvénile que sur les images. Beaucoup plus vivant, malgré sa pâleur. Et ses cheveux luisaient sous les lampes tel le pelage d’un bel animal.
    Nadedja Allilouïeva, son épouse, venait juste derrière lui. Marina ne fit d’abord que l’entrevoir. Le tourbillon d’uniformes et de vareuses qui entourait déjà Staline la lui masquait. Mais Polina Molotova l’avait repérée :
    â€” Nadia ! Ma Nadioucha ! Comme tu t’es faite belle.
    Nadedja Allilouïeva contourna la longue table en souriant. Une robe noire, serrée à la taille et fluide autour des cuisses, rendait grâce à sa silhouette encore fine. Un décolleté en trapèze, souligné de surplis et piqué d’un camé, découvrait pudiquement la naissance de sa poitrine. La chair fine de son cou était nue, sans collier. Elle n’avait pas un visage gracieux. La mâchoire était trop forte, comme son nez. Sa bouche en paraissait bizarrement petite. Pourtant, lorsqu’elle adressa un sourire à Polina Molotova, seslongs sourcils se soulevèrent comme des ailes d’hirondelle. L’ombre de ses yeux s’éclaira et ses lèvres eurent un frémissement enfantin qui n’était pas sans charme.
    Elle avait piqué une fleur de soie rose thé dans ses cheveux. Pour une fois, ils étaient dénoués. C’était ce qui provoquait l’admiration et les félicitations de Polina Molotova. Les autres épouses ne furent pas en reste. Le vacarme des voix emplit à nouveau la salle. Marina voulut s’avancer vers Nadedja Allilouïeva, lui faire son compliment.
    â€” Non !
    Les doigts d’Egorova s’enfoncèrent dans son bras.
    â€” Ne bouge pas. Attends. Lui d’abord.
    Egorova fixait le groupe des hommes. Il se dénoua. Staline pouffait dans sa moustache à cause d’un bon mot de Vorochilov, pourtant Marina devina qu’il la scrutait entre ses paupières à demi closes. Un regard de chat sauvage.
    Il s’approcha, un pas vif, comme s’il glissait sur un parquet de glace. Avec lui arriva cette odeur âcre de tabac dont avait parlé Egorova.
    Il dut lever un peu la tête pour la dévisager. Elle s’essaya à une nouvelle révérence. Egorova parla de la pièce de Vichnevski. Il dit :
    â€” Ah ! Larissa !
    Puis, en hochant la tête :
    â€” Très bien, très bien !
    Pas un mot de plus. On aurait pu croire que Marina ne l’intéressait en rien. Nadedja Allilouïeva les observait en écoutant Polina Molotova. Staline s’empara d’une chaise, et ce fut

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