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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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nouvelle lettre, Inna retournait les voir.
    Boussia, elle, savait déjà ce qu’Inna redoutait tant. Au tout début du siège de Stalingrad, en l’espace d’un mois, son mari et ses deux fils avaient été tués. Boussia avait voulu mourir à son tour. Elle travaillait à la grande boulangerie de la rue d’Octobre. Il avait fallu l’empêcher de se jeter dans le four. Elle y avait déjà brûlé tous ses cheveux. Les femmes de la datcha l’avaient ensuite veillée jour et nuit. Boussia s’était débattue, les avait insultées et avait même tenté de mettre le feu à la maison pour en finir. Puis ses cheveux avaient repoussé, plus frisés qu’avant et blancs comme neige. Un jour, elle avait repris sa place à la boulangerie, et la vie avait recommencé.
    L’histoire de Beilke était semblable à celle de millions de citoyens soviétiques. Avec son époux, Moïshé Pevzner, Beilke avait quitté Berditchev, en Ukraine, au tout début de la création de l’oblast juif de Birobidjan. À Berditchev, Moïshé était instituteur. Dès son arrivée à Birobidjan, il avait participé à la création d’une école yiddish. Très vite, il avait pris des responsabilités dans le comité exécutif del’oblast, avant d’être élu comme représentant. Puis s’étaient abattues les grandes purges des années 36 à 38. Le Birobidjan n’avait pas été épargné, au contraire. Moïshé avait été arrêté avec tous les membres du comité. Ils avaient été condamnés comme « ennemis du peuple ». Beaucoup avaient été fusillés. Moïshé avait disparu parmi les squelettes vivants du Goulag. Beilke avait pris tous les risques pour savoir dans quel camp il avait été envoyé. En vain. Nul ne savait. Cela faisait maintenant six ans. Mais Beilke n’avait jamais voulu croire à sa mort ni quitter Birobidjan. Si son Moïshé devait un jour revenir, il la trouverait là. Craignant cependant pour ses enfants, elle les avait renvoyés à Berditchev, dans sa famille. Une décision terrible. Aujourd’hui que les nazis étaient en Ukraine, qu’étaient devenus les Juifs de Berditchev ?
    â€” Je t’en prie, Marinotchka, il ne faut pas leur en parler, avait supplié Nadia. Elles ne veulent pas. Fais comme si tu ne savais pas. On n’en parle jamais, ici. Et nulle part. Personne ne le veut. Metvei non plus. Ne lui dis pas que je t’ai raconté tout ça. Il serait furieux contre moi.
    Elles se tenaient serrées sur le lit de Marina. La nuit était tombée depuis longtemps. Nadia avait apporté une petite lampe à pétrole et des gâteaux au miel auxquels elles n’avaient pas touché.
    Malgré la gravité et la dureté de ce qui était dit, c’était un moment tendre et presque doux. Depuis l’arrivée de Marina à Birobidjan, Nadia l’avait adoptée comme une sorte de grande sœur merveilleuse et inespérée. Marina ne pouvait s’empêcher d’en être émue. Jamais elle n’avait connu de pareilles relations avec une adolescente. Et malgré tout ce qu’elle voyait et vivait, Nadia demeurait une fille d’à peine vingt ans, belle d’une fraîcheur qui lui faisait envie. Elle possédait, intacte, cette force de pureté, ce goût acharné du rêve qui était la toute-puissance de la jeunesse. Les rêves et l’innocence de Marina avaient été pulvérisés à jamais, onze ans plus tôt, sur une banquette inconfortable du Kremlin.Un instant aussi brûlant qu’un fer d’infamie, et qui l’avait conduite ici même. Comme toutes les femmes de l’isba, elle avait son histoire indicible. Comme elles, elle savait depuis longtemps qu’il n’y avait que le silence pour parvenir à vivre avec ces catastrophes enfouies. Et, à écouter ce que venait de lui confier Nadia, son drame n’était pas le plus terrifiant.
    Nadia se méprit sur son silence.
    â€” Marinotchka, je n’aurais jamais dû te raconter tout ça. Ce n’est pas si terrible, de vivre ici. Tu vas être heureuse avec nous. Tu verras, quand le printemps reviendra, c’est vraiment magnifique. Et il y a tellement de moustiques qu’on ne

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