L’Inconnue de Birobidjan
Il y avait beaucoup de coins et de recoins pour se cacher. Câétait amusant. On était comme des gosses. On entrait par la porte des resserres, à lâarrière du bâtiment. Michael avait fabriqué des faussesclefs. Il était doué pour ce genre de chose. Grâce à ses doigts de chirurgien, disait-il. à la datcha, je racontais que je devais aller répéter afin dâêtre prête pour le spectacle de la fête régionale. Si quelquâun venait vérifier, je pouvais toujours me montrer. Ce nâest jamais arrivé. Beilke et Grand-maman Lipa devaient flairer la vérité, mais elles gardaient le secret. Avec Nadia, câétait plus difficile. Peut-être se doutait-elle de quelque chose, elle aussi ? Une ou deux fois elle a voulu mâaccompagner. Elle a passé des heures dans le foyer à me faire répéter les mêmes phrases, à me regarder jouer des scènes muettes. Michael se cachait juste à côté. Câétait plutôt drôle. Une fois, il sâest endormi dans les coulisses et a failli se faire surprendre par les femmes de ménage.
â Il nây avait pas de garde, dans le théâtre ?
â Garder un théâtre la nuit, en pleine Sibérie ? De toute façon, ça nâa pas duré très longtemps. Deux mois. Et Michael passait beaucoup de temps hors de Birobidjan. Il continuait ses tournées dans les villages de la région.
â Il partait longtemps ?
â Quelques jours, une semaine. Davantage quand il y avait une tempête de neige. Chaque fois ça paraissait très long. Quand il était de retour, il attachait un ruban rouge au volet de ma chambre, à la datcha.
â Un ruban rouge ?
â Oui. Il le fixait la nuit. Personne ne lâa jamais vu faire. Pas même moi.
Le souvenir amusait Marina. Elle eut un petit rire. McCarthy et Nixon commençaient à perdre patience. Ils nâétaient pas là pour écouter une romance. Cohn dut le sentir.
â Lâagent Apron vous parlait-il de ce quâil faisait en dehors de Birobidjan ?
â Un peu. Surtout quand il essayait de mâenseigner lâanglais.
â Il vous apprenait lâanglais ?
â Qui dâautre aurait pu me lâapprendre ?
â De quoi parlait-il ?
â Des malades quâil avait soignés, des gens quâil avait rencontrés. Et des bêtes. Il les soignait aussi. Il nây avait pas de vétérinaire, sauf au grand kolkhoze Waldheim. Plusieurs fois, dans les fermes, on lui a demandé de sâoccuper des animaux. Ãa lui plaisait. Parfois, dans la taïga, il croisait des ours ou des loups. Il les photographiait. Il prenait de très belles photos. Il mâen a offert quelques-unes.
â Ah ? Où sont-elles ? Nous nâavons pas trouvé de photos chez vous.
â Je ne les ai plus⦠Comment aurais-je pu les garder ?
â Quelquâun les développait pour lui ?
â Non, il sâen occupait lui-même. Il avait installé un petit laboratoire à lâhôpital. Je vous lâai dit, il montait tout un dossier sur les épidémies du Birobidjan. Il prenait des clichés des malades, de leurs maisons, des terrains autour des fermesâ¦
â On le laissait faire ?
â Oui.
â Il allait près de la frontière mandchoue ?
â Oui, il aimait rouler le long du fleuve Amour. Mais là , il était interdit de faire des photos.
â Il ne vous a jamais dit quâil franchissait le fleuve et traversait la frontière ?
â Non.
â Vous ne vous êtes doutée de rien ?
â Doutée de quoi ? Quâil était un espion ? Non. Il ne se cachait de rien. Ses photos, on les connaissait. Il en punaisait sur les murs de lâhôpital. Les femmes lui demandaient de les photographier avec leurs enfants. Bien sûr, plus tard, quand jâai su⦠quand il mâa dit. Mais ça nâavait pas dâimportanceâ¦
â Quâest-ce qui nâavait pas dâimportance ? Je ne vous comprends pas.
â Vous croyez que je pensais à le soupçonner ?
â Vous auriez puâ¦
â Vous avez déjà été amoureux, monsieur ?
â Miss Gousseïev !
â On passait très peu
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