L’Inconnue de Birobidjan
de la vérité que la vôtre, non ?
McCarthy ne laissa pas à Marina le temps de répliquer.
â Qui sont vos contacts au consulat soviétique de New York, Miss ? En arrivant à New York, avez-vous rencontré Leonid Kvasnikov et Alexandre Feklisov ?
â Comment expliquez-vous que vous habitiez en dessous de lâappartement de M. Morton Sobell ?
â Parmi vos amis dâHollywood, à part Miss Lilian Hellman et Miss Dorothy Parker, qui avez-vous convaincu de soutenir lâUnion soviétique, Miss Goussov ?
â Vous savez ce qui vous attend, Miss Gousseïev ? La prison ne sera pas le châtiment ultime, pour vous. Dans ce pays, la peine mort est appliquée aux espions⦠à moins que vous acceptiez de collaborer loyalement avec cette commission.
Quand ils se turent, ce fut comme si des fous cessaient soudain de frapper sur des tambours.
Marina était livide. Ses yeux, éteints lâinstant plus tôt, brillaient de haine. Sa réaction fut imprévisible. Elle se leva avant que les gardes puissent réagir. Il nây avait pas grand-chose sur la table devant elle. Des feuilles de papier, des crayons. Un verre et la carafe dâeau pas encore vide. Elle choisit la carafe. Elle lâempoigna et la balança à la tête de Nixon. Il eut un bon réflexe, bascula sur le côté juste à temps. La carafe rebondit sur son épaule et se brisa contre le mur.
Les flics étaient déjà sur Marina. Elle se débattit, hurla des insultes. Dâabord en anglais, puis en russe. Câétait la première fois quâon lâentendait parler russe. Les flics la plaquèrent sur la table, lâétouffant à demi. Jâentendis la bretellede sa robe craquer. Elle gémit de douleur quand ils lui passèrent les menottes. Elle cessa de crier. Son chignon sâécroula quand ils la redressèrent. On ne voyait plus son visage.
Nixon et McCarthy étaient debout. Cohn sauta sur lâestrade pour les rejoindre. Nixon se malaxait lâépaule en grimaçant. Il était blanc comme un linge. Avec sa barbe de fin de journée, il avait la tête dâun malfrat dans un film de John Huston.
Wood ordonna aux flics dâévacuer Marina. Je me rendis compte que moi aussi je mâétais levé. Shirley et sa collègue sâétaient dressées devant leur table. Il nây avait plus que Mundt à rester tétanisé sur son siège. McCarthy et Nixon commencèrent à rigoler. Nixon avait maintenant lâair aussi fier de lui que sâil venait dâéchapper aux mitraillettes de la bande de Bugsy Siegel.
Wood prit son maillet, tapota sur la table en annonçant que lâaudience était suspendue jusquâà nouvel ordre. Wood proposa à Nixon dâappeler un médecin. Nixon protesta que ce nâétait pas la peine. Il était costaud, il avait vaincu une femme en combat singulier. Ils rirent encore. Puis se mirent à discuter à voix basse.
Je devinai le genre de leur conciliabule. Marina Andreïeva Gousseïev venait de signer son avis de lynchage. Elle nâavait aucune idée de la manière dont ils tireraient profit de lâincident en le laissant fuiter dans les journaux. Je me sentis soudain nauséeux.
Je me rapprochai de Shirley. Elle sâécarta de moi comme si jâavais la peste. Jâen eus le souffle coupé.
â Eh ! Shirley, que se passe-t-il ?
Elle ne tourna même pas la tête. Je faillis insister. Sa collègue me balança un regard à la Al Capone.
Merde, quâest-ce que jâavais fait ? Comme si ça ne suffisait pas que cette crétine de Russe signe son arrêt de mort devant la Commission !
Je décidai de fuir cette salle en folie et dâaller fumer une cigarette dehors, dans le grand hall, pour tenter de me rafraîchir les idées.
Â
Pas la meilleure idée quâon pouvait avoir. La porte de la salle dâaudience à peine refermée dans mon dos par les flics de faction, une demi-douzaine de collègues se précipitèrent sur moi.
â Al ! Quâest-ce quâil sâest passé, là -dedans ? On a entendu gueulerâ¦
â Quâest-ce quâelle fait, la Russe ?
â Ils lâont eue ? Elle a avoué ?
Je les laissais brailler pendant que jâallumais ma cigarette.
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