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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Elle l’observa avec étonnement. Elle n’avait plus devant elle l’acteur imposant, doucement ironique, à la diction châtiée et aux manières presque mondaines qu’elle avait rencontré quelque temps plus tôt. Il paraissait s’abandonner à la vieillesse ainsi qu’à la tendresse. Il ressemblait à tous ces vieux Juifs qu’elle croisait ici et là dans les boutiques de Birobidjan. Chevelus, barbus, un peu voûtés, la chaleur de la vie concentrée dans leurs yeux, brûlants d’en avoir trop vu. Ou peut-être était-ce un rôle qu’il endossait pour s’adresser à elle ?
    Comme pour lui répondre, il sourit, eut un clin d’œil.
    â€” Tu apprends vite. C’est bien. Et ce qui est appris n’est plus perdu, c’est déjà ça. Bien dommage que tu nous arrives seulement maintenant, Marina Andreïeva !
    Il gratta une cigarette, tira quelques bouffées, les paupières mi-closes.
    â€” Tu aurais dû voir ça, il y a dix ou quinze ans. De la folie ! On arrivait de partout, Ukraine, Biélorussie, Crimée, Oural, Argentine, Canada ! Et avec le même rêve en tête. Bâtir la nouvelle patrie des Juifs ! Personne se souciait des moustiques ou de la glace… Si, si, c’était terrible. Les moustiques plus que le froid. Mais ça ne décourageait pas. Même les coups de fusil des Japonais de la Mandchourie ne décourageaient pas. Ils se postaient sur les îles de l’Amour, ces salopards, et ils tiraient sur les hommes qui venaient pécher. Oui, oui, je t’assure. Il a fallu faire des patrouilles. Il y avait une chanson, je me souviens :
    Â 
    Â«Â Sur les rives escarpées de l’Amour, les sentinelles de la patrie veillent.
    Â 
    Â«Â Les sentinelles, c’étaient nous. Et il y en avait capables de choses folles. J’ai connu des Juifs qui vivaient en capturant des tigres ou des ours. D’autres qui s’installaient au milieu de la forêt pour défricher. C’est comme ça qu’est né le kolkhoze Waldheim… “La maison dans la forêt”, c’est ce que signifie Waldheim. Ce n’était pas facile, de tenir. À Waldheim, ils ont tenu. Tu verras au printemps comme c’est beau, là-bas. Bon, on était loin du demi-million de Juifs prévu par notre grand Iossif Vissarionovitch Staline. Trente mille ? Un peu plus peut-être. Mais trente mille Juifs sur une terre à eux. Sans qu’on leur interdise de labourer cette terre et de respirer. Sans qu’on les menace. Trente mille hommes,femmes et enfant qui n’étaient plus des louft menchn , des “hommes accrochés au vent”, comme on nous appelait alors. Ce n’était pas rien. »
    Iaroslav ponctuait ses phrases de petits mouvements de la tête. Sa couronne frisée de cheveux blancs dispersait la fumée de sa pipe en torsades nerveuses. Son visage était sans mélancolie, rajeuni, presque heureux. Comme s’il recevait une caresse de ces souvenirs radieux.
    â€” Et ç’aurait pu être plus encore. À Moscou, tu as vu notre film, Iskateli Stchastia , «  Les Chercheurs de bonheur  » ? C’étaient nous, ça, vraiment nous, les pionniers juifs d’ici, du Birobidjan. Aïe, ma fille, quel rêve ! Et du beau talent d’acteur aussi, hein ? Benjamin Zouskine, Maria Blumenthal-Tamarina… Sans parler de la musique de notre cher Isaac Dounaïevski… Ils ont tous joué ici, et avec Mikhoëls encore. Tu imagines ? Ah, oui, de beaux moments…
    Il resta quelques secondes silencieux, fixa Marina comme si elle pouvait comprendre ces instants qu’il portait encore en lui.
    â€” C’est beau, le rêve, Marina Andreïeva. Il faut rêver. Surtout quand il est difficile de le faire. Regarde, les choses ont changé, ici, c’est certain. Mais Birobidjan est toujours l’oblast autonome juif. Tu prends une carte et tu peux mettre le doigt dessus. Et dans Birobidjan, il y a toujours la rue Cholem Aleikhem. Les Juifs ne sont pas la majorité, ici ? C’est vrai, mais ils sont chez eux, et plus qu’ailleurs. Tu vas à la poste, au bâtiment du comité, et tu vois des lettres en yiddish sur les murs. Et ce théâtre ? Nos isbas et nos datchas sont ce qu’elles sont, mais notre

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