L’Inconnue de Birobidjan
de temps ensemble. Michael était un étranger, il ne faisait rien comme nous. Il nâavait pas peur comme nous. Et ça me plaisait. Vous croyez que jâavais envie de gâcher les moments avec lui en le soupçonnant ? Je savais tout ce qui mâimportait : câétait lâhomme que jâaimais. Pas comme jâavais aimé Lioussia. Ce nâétait pas pour se prouver quâon est toujours en vie. Câétait différent. Comme voyager dans une autre existence. Connaître dâautres facettes de soi-même. Ãtre meilleure que ce quâon est dâhabitude. Aimer ce quâon ignore, ne pas se soucier de soi sans arrêtâ¦
â Miss Goussovâ¦
La voix éraillée de Nixon me fit sursauter. Je ne lâavais pas vu sâincliner vers son micro.
â Miss Goussov, avez-vous la moindre preuve de ce que vous avancez ?
â La preuve ?
â Un billet dâApron ? Une lettre dâamour ? Un mot qui nous prouve que vous nâinventez pas toute cette histoire ?
â Vous savez bien que non.
â Apron ne vous a jamais écrit ? Pas même un billet ?
â Je ne les ai plus depuis longtemps.
â En ce cas, pourquoi devrait-on vous croire ?
McCarthy sauta sur lâoccasion :
â à votre avis, il vous suffit de raconter votre histoire pendant des heures pour que nous vous croyions, Miss ?
Marina Andreïeva ne rétorqua pas. Elle les observa comme si elle était devant une meute de chiens surexcités. La résignation vida ses yeux de toute lumière. La fatigue lâenlaidit dâun coup. Elle ne trouva quâun petit geste méprisant pour accompagner sa réponse.
â Et vous, pouvez-vous prouver que je mens ? Vous disposez du FBI, de la police. Vous fouillez chez moi, vous interrogez ceux qui me connaissentâ¦
Une réplique de vaincue. Sourde, sans conviction.
McCarthy et Nixon eurent le même rictus. McCarthy susurra :
â Notre devoir, Miss, câest celui de tous les citoyens américains : défendre sincèrement notre pays contre la pire menace quâil ait jamais connue. Ãtes-vous sincère, vous aussi, Miss ? Je ne le crois pas. Vous avez menti dès votre arrivée devant cette commission. Tout ce quâon entend de votre bouche depuis deux jours, ce sont encore et toujours des mensonges.
La voix de crécelle de Nixon enchaîna :
â à mon avis, les choses se sont passées très différemment ⦠Je vais vous dire ce qui est réellement arrivé. Vos chefs du NKVD vous ont envoyée tout exprès dans cette région juive, ce Birobidjan. Pas pour faire du théâtre yiddish, mais pour séduire cet Américain. Ce Michael Apron. Câétait votre mission, devenir sa maîtresse. Nous connaissons bien cette technique de chez vous. Avec ce Levine, si jamais il a existé, vous vous êtes fait passer pour une pauvre fille qui avait des ennuis avec les grands méchants du NKVD. Peut-être bien que vous avez raconté à Apron la même histoire quâà nous : la nuit avec Staline, le suicide de sa femme. Sacrée histoire ! De quoi appâter un agent américain, pas vrai ? Apron ne sâest pas méfié. Vous savez vous y prendre. Une belle femme comme vous, quand elle sây met, qui ne la croirait, hein ? Apron vous a fait des confidences. Vous avez voulu découvrir sâil prenait dâautres photos que celles quâil montrait à la ronde. Des photos des installations militaires soviétiques sur la frontière, par exemple. Et quand vous avez obtenu ce que vous cherchiez, hop ! fini, lâagent Apron⦠Dieu seul sait comment vous lâavez traité ! Dieu seul sait quel martyre il a enduré ! Câest alors que vos chefs ont eu la bonne idée de vous envoyer ici, chez nous, aux Ãtats-Unis. Avec ce faux passeport que vous avez trouvé dans les affaires de lâagent Apron. De quoi vous faire passer pour son épouse pendant que vous mettiez en place unréseau de traîtres communistes prêts à voler les secrets de la bombeâ¦
Nixon respira un grand coup. Très satisfait de lui. Rigolard. Et relançant encore la machine :
â Quâest-ce que vous pensez de ma version, Miss Goussov ? Plutôt réaliste, non ? Plus proche
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