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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Que faisaient-ils ici, à se soucier de ce qu’il se passait avec Marina Andreïeva Gousseïev, alors qu’on ne les avait pas vus depuis deux jours ? Je leur posai la question.
    â€” Eh, Al ! Tu ne lis plus les journaux depuis que tu es le petit chéri de la Commission ?
    â€” Tu te trompes,Tom : Al ne se shoote qu’aux bobards de son propre canard…
    C’était presque vrai. Depuis deux ou trois jours je n’avais pas jeté un coup d’œil sur les bavasseries des collègues. J’aurais dû. Ils me mirent les dernières unes sous les yeux. New York Morning Journal , Washington Herald , Daily Mirror … Les torchons de la presse Hearst qui relayaient depuis des mois les délires de McCarthy. Sur tous on voyait une photo de Marina Andreïeva Gousseïev en tenue de prisonnière derrière les barreaux de sa cellule. Les sous-titres étaient éloquents :
    Â 
    Le FBI accuse l’espionne russe d’avoir tué un agent de la CIA.
    Â 
    L’espionne russe est-elle la chef du réseau communiste ?
    Â 
    L’espionne russe vivait à Hollywood depuis cinq ans.
    Â 
    L’espionne russe a-t-elle volé les secrets de la bombe atomique ?
    Â 
    Je parcourus en vitesse les articles. On y trouvait le vrai nom de Marina Andreïeva Gousseïev plus ou moins correctement orthographié, une vague allusion au Birobidjan, un tombereau de suppositions et de demi-mensonges sur unréseau d’espionnage juif, et beaucoup de promesses de futures révélations. Marina y devenait la maîtresse de Staline et la meurtrière probable de sa femme, un membre haut gradé du NKVD, un démon prodigieux… Le FBI était déjà aux trousses de tous ceux qui avaient été en contact avec elle à Hollywood…
    Je m’étais fait avoir. L’exclusivité du New York Post n’était plus qu’un souvenir. Et maintenant que les fausses rumeurs étaient lancées, écrire quoi que ce soit de contraire serait comme vouloir arrêter un tsunami avec une pelle à sable. J’imaginais d’avance l’humeur de Sam et de Wechsler à New York.
    Je doutais que le coup vienne de Wood. Les fuites et les rumeurs mortelles, c’était plutôt la spécialité de McCarthy, et la presse Hearst lui fournissait toute l’aide dont il avait besoin pour ses mauvais coups. L’ensemble des articles était du même niveau. Il n’était question que des « révélations » de Harry Gold et de Greenglass, « du fantastique réseau communiste d’espions juifs ». Et pour faire bon poids, en page deux, on avait droit aux photos des « Dix d’Hollywood » incarcérés la veille à la prison fédérale d’Ashland, dans le Kentucky.
    Inutile de lire ces saloperies ou de discuter. Goguenards, les collègues, si je pouvais les appeler comme ça, attendaient ma réaction. Je me défilai comme je pus. Non, la Russe n’avait rien avoué. Elle jurait qu’elle n’était pas une espionne. Jusqu’à présent, rien de ce qu’elle racontait ne menait à la bombe atomique, et je trouvais qu’ils allaient un peu vite en besogne, mais c’était comme ça dans la vie, chacun ses choix. Pas vrai ?
    Je fus assez ennuyeux pour leur donner envie de fuir. J’eus droit encore à quelques plaisanteries douteuses avant que Tom Krawitz, un vieux de la vieille du Washington Herald , me tende un numéro du Red Channels qui venait de paraître.
    â€” Saine lecture, Al. Tu devrais lire attentivement les noms inscrits là-dedans. Peut-être que tu y trouveras le tien ?
    Il ricana en me gratifiant d’une tape amicale. Aujourd’hui encore je m’en veux, parce que j’ai dû rougir de trouille.
    Red Channels était une invention de l’American Business Consultant, une officine du lobby chinois et d’anciens du FBI obsédés par la chasse aux communistes. Ils soutenaient à fond McCarthy. La dénonciation était leur passion. Dans ce numéro daté de la veille, 23 juin 1950, ils avaient réussi à aligner cent cinquante et un noms de « rouges ». Autant de familles américaines qui allaient voir leur existence fichue dans les heures à venir. Plus de boulot et plus d’amis. J’y découvris les noms

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