L’Inconnue de Birobidjan
construction de la Nationsocialiste de demain . Ãa leur plaira. Bien sûr, il faudra que Mister Doctor Apron soit dâaccord.
Â
Iaroslav avait vu juste. Le comité soutint avec enthousiasme sa proposition. Il nâétait plus question de tenir à lâécart lâAméricain. Klitenit félicita publiquement Marina, déclara quâelle allait « éclairer les foyers du Birobidjan dâun nouveau visage de la culture  ». Cependant, pour entretenir la fiction dâune situation purement professionnelle, Marina et Apron se tinrent encore à distance lâun de lâautre. Même lors de la soirée de présentation des contes prévus pour les tournées.
Iaroslav et Anna avaient aidé Marina à choisir parmi les milliers de contes yiddish des recueils folkloriques précieusement conservés dans la bibliothèque du théâtre. Leurs titres étaient un plaisir pour lâimagination : Histoire dâune plume dorée  ; Le Diseur de mots  ; Le Philtre dâamour  ; Pourquoi la tête grisonne avant la barbe  ; Le Mort reconnaissant â¦
Mimant, dansant, et même en russe â avec lâaccord de Iaroslav â, Marina donna un petit spectacle solitaire sur la scène du théâtre. Un avant-goût de ce que découvriraient les habitants des kolkhozes du Birobidjan. Derrière elle, sur le fond du plateau, se déployait une grande banderole rouge où était brodé, en russe et en yiddish, le slogan inventé par Iaroslav. Le comité applaudit longtemps. La politruk Zotchenska se montra dâune belle amabilité. Apron apparut, applaudit un peu, se montra familier et souriant avec chacun, salua à peine Marina. à la première occasion, il sâéclipsa. Les malades lâattendaient.
Personne ne fut vraiment dupe. Mais nâétait-ce pas ainsi que les choses allaient ? Beilke déclara :
â Ce vieux fou de Iaroslav a plus de jugeote que je ne croyais.
Grand-maman Lipa resta muette. Seule Nadia se montra soudain distante, de mauvaise humeur, agressive à lâoccasion. Marina ne put deviner si la jalousie la rongeait ou siNadia lui reprochait de trahir Levine. Lorsquâelle voulut en parler, Grand-maman Lipa lâen dissuada :
â Laisse. Ãa lui passera. Elle a les émotions de son âge.
La première tournée fut annoncée dans le Birobidjanskaya Zvezda pour début juin. Ce fut un étrange départ. Peu après lâaube, Apron vint au théâtre charger la grosse malle de Marina. Iaroslav et les sÅurs Koplevna étaient là pour embrasser leur camarade. La Zotchenska, Klitenit et quelques membres du comité arrivèrent avec le photographe du Birobidjanskaya Zvezda , qui immortalisa lâinstant.
Cela faisait maintenant des semaines quâApron et Marina ne sâétaient vus ni touchés. Marina en avait le ventre noué. Elle parvenait à peine à répondre aux adieux, à sourire, à promettre que tout irait bien. Apron, lui, était à lâaise et jovial, selon son habitude. Trop pour Marina. Quand la politruk lâembrassa, il parut y mettre plus de chaleur que nécessaire. Le vieux Iaroslav sâamusait beaucoup. Marina finit par détester ce départ et le laissa paraître. Lorsque la ZIS sâéloigna, dispersant un petit nuage de fumée, Klitenit fronça les sourcils. Il murmura à Iaroslav :
â Je croyais que ces deux-là sâentendaient bien ?
Iaroslav eut une petite moue de lassitude.
â Elle nâa pas un caractère facile, notre Marina. Une belle actrice, mais pas facile du tout, camarade Klitenit. Je vais te dire le fond de ma pensée. Je préfère la savoir dans la taïga avec lâAméricain quâici dans les coulisses.
Â
Ils quittèrent Birobidjan par une large piste de terre. La ZIS soulevait un nuage de poussière, rebondissait dans les nids-de-poule en grinçant. Les pétarades du moteur se mêlaient aux bringuebalements du plateau à lâarrière, aux soubresauts des bidons dâessence de réserve et des malles, aux couinements des essieux. Un tintamarre assourdissant quand on nâétait pas habitué. Une cigarette aux lèvres, retenant un sourire, Apron jetait de petits coups dâÅil à Marina. Elle sâagrippait à la portière, les
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