L’Inconnue de Birobidjan
titre annonça quâil nây avait plus rien à craindre : Lev Vatroutchev sâen sortirait. Il lui faudrait bientôt une prothèse à sa taille. Le journal suggérait que ce serait là un beau travail patriotique pour un menuisier de Birobidjan.
Enfin, sur une page entière, de la plume même de la secrétaire du Parti, Priobine, on put lire un long éloge de lâhôpital de Birobidjan. Les nouvelles du front de lâOuest et les dernières décisions stratégiques du camarade Staline emplissaient toutes les autres pages. En Ukraine, sur le Donets et en direction de Kiev, au prix de terribles combats, lâArmée rouge était toujours victorieuse.
à la datcha commune, Nadia continua de faire chaque jour le résumé enthousiaste des soins apportés au survivantde la mine japonaise. Aussitôt Levine dans le train, Nadia, encouragée par Beilke et Grand-maman Lipa, avait couru à lâhôpital et proposé son aide. Lâinfirmière en chef lâavait accueillie sans réserve. Le Mister Doctor Apron lui-même avait promis de la préparer au prochain examen dâinfirmière de lâécole de médecine de Khabarovsk. En attendant, Nadia était lâune des quatre aides qui entouraient nuit et jour le pauvre amputé.
Lorsque Nadia vantait les prouesses de lâAméricain, le regard de Beilke ou de Grand-maman Lipa croisait de temps à autre celui de Marina. Elle y devinait un éclat amusé, un soupçon de connivence. Rien de plus. Pas une seule fois depuis la nuit de la fête la vieille Lipa nâavait fait allusion à lâivresse de Marina.
Marina nâavait toujours pas revu Michael : elle nâavait plus dâexcuses pour sortir se livrer à de pseudo-répétitions théâtrales ; il lui était encore plus impensable de se montrer à lâhôpital.
Un matin, au coin du volet de la datcha où il leur était arrivé durant lâhiver de glisser leurs messages de rendez-vous, elle trouva un billet. La seule écriture dâApron lui fit bondir le cÅur. En quelques lignes il lui demandait de se montrer patiente, de ne pas être imprudente. Il était sous le regard de tous, de toutes, le comité ne cessant de lui amener des visiteurs. La rançon de la gloire, disait-il. Mais ça va sâépuiser. Sois patiente, mon amour. Il nây a pas dâheure ni de jour où tu ne sois partout en moi, écrivait-il dans un mélange de yiddish et de russe.
Oui, elle apprenait à avoir la patience dâun Levine.
La frustration, la folle envie de courir dans ses bras, de sentir à nouveau la peau de Michael sous ses paumes, de recevoir ses baisers, lâavaient dâabord mordue comme la famine. Puis elle sâétait apaisée. Elle se répétait quâil ne fallait rien gâcher. Lâhomme qui portait son amour était là , pas si loin dâelle, bien vivant. Il fallait patienter. Apron était devenu un héros de Birobidjan. Les rumeurs mauvaises quilâentouraient allaient sâétouffer, et Levine ne serait pas là pour les raviver.
Ce fut en suivant ce même raisonnement que le vieux Iaroslav eut une idée folle. Une idée de bonheur et de malheur.
Un matin, lorsque Marina passa la tête par la porte du foyer des acteurs, il pointa sur elle le long tuyau de sa pipe.
â Viens tâasseoir avec moi, Marinotchka.
â Jâai promis à Vera de ranger la bibliothèque des vieux manuscrits.
â Plus tard. Viensâ¦
Malgré la tiédeur grandissante du printemps, il portait encore sa robe de chambre aux broderies défraîchies et sa calotte de velours pourpre. Il tapota en souriant la dernière page du Birobidjanskaya Zvezda quand Marina prit place en face de lui.
â Encore un article sur notre héros de la médecine américaine.
Marina opina sans répondre, croisa les mains devant elle. Iaroslav tira sur sa pipe, arbora un air grave. Il était difficile de savoir quand il était sérieux ou quand il sâamusait à le paraître. Il annonça :
â Je suis sérieux. Pour de bon.
Il lui rappela que depuis le départ de Metvei il était devenu le camarade directeur provisoire du GOSET de Birobidjan. Il allait bientôt devoir présenter le programme de la troupe aux membres du comité exécutif.
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