L’Inconnue de Birobidjan
lâalcool.
â Shirley nâest pas avec vous ? Les oreilles du FBI sont branchées sur mon téléphone ? Câest pour ça que vous vous êtes servi dâelle pour mâattirer ici ?
â Ne renversez pas les rôles, KÅnigsman. Shirley Leeman appartient à mon secrétariat. Elle fait son travail⦠quand vous nâexigez pas quâelle rompe son serment. Vous saviez quâune secrétaire de sénateur prête serment de bonne conduite ? Et quâelle peut écoper de cinq ans de prison si elle le brise ?
â Donc, Shirley vous a racontéâ¦
â Je me demande ce quâune femme comme elle peut vous trouver.
Je lâexaminai attentivement, une drôle dâidée me venant à lâesprit.
Comme sâil voulait la confirmer, Wood ajouta :
â Vous ne respectez pas grand-chose, hein ? Vous servir de lâaffection dâune femme pour la contraindre à des actes illégauxâ¦
Câétait la voix dâun homme jaloux que jâentendais. T. C. avait eu raison : Wood nâoffrirait pas Shirley au FBI. En revanche, jâétais certain quâil lui avait offert un parfum français hors de prix. Je ne pus mâempêcher de rire en tirant un paquet de cigarettes de mon veston.
â Shirley est une grande fille qui sait ce quâelle fait, Sénateur. Et je suppose que vous nâêtes pas ici pour me sermonner comme un vieux mari jaloux.
â Ne jouez pas les crétins, KÅnigsman. Ce nâest pas le moment.
Il jeta un coup dâÅil à lâhorloge du tableau de bord.
â Nous sommes⦠Les Ãtats-Unis dâAmérique sont en guerre depuis trois heures.
â Quâest-ce que vous racontez ?
â Lâarmée de Corée du Nord a franchi le 38 e parallèle à minuit. Sept divisions, cent cinquante chars soviétiques T34, deux mille pièces dâartillerie⦠Kim Il-sung ne compte pas faire du tourisme. Il avance comme dans du beurre, il sera à Séoul avant trois jours. Les Sud-Coréens étaient persuadés quâil nâattaquerait jamais. Ils nâavaient rien de prêt.
â Seigneur !
â Dans deux heures, Truman annoncera à la radio que nous considérons lâattaque des Nord-Coréens comme une déclaration de guerre. Les Ãtats-Unis réclameront un vote à lâONU pour que la réplique soit internationale. Nous, on va y aller aussi vite que possible. Toutes les forces armées américaines disponibles au Japon sont déjà en route vers les côtes coréennes. Mais ce qui compte, câest que Kim Il-sung nâest quâun pion. Il nâa pas pu se lancer dans cette aventure sans lâaccord de Staline et de Mao. On va commencer cette guerre en Corée, mais on ne sait pas où on la terminera. Ãa dépendra des Russes et des Chinois.
â Nom de Dieu ! à peine cinq ans de paix et ça recommence !
Jâallumai ma cigarette. Mes doigts tremblaient. Wood sâen rendit compte. Il eut le bon goût de ne pas faire de commentaires. Mais je nâavais pas envie dâêtre aimable.
â Voilà qui doit plaire à vos amis McCarthy et Nixon, ricanai-je. Eux qui rêvent de mettre la pâtée aux communistes, ça va être lâoccasion. Ils vont pouvoir aller se battre pour de bon, au lieu de raconter des salades devant les caméras.
Wood me lança un coup dâÅil mauvais avant de fixer le pare-brise. Il se mit à tapoter nerveusement le volant de la Packard. De toute évidence, ce quâil avait à mâapprendre nâétait pas facile. Je lui donnai un coup de main.
â Quâest-ce que vous voulez de moi, à part mâinformer de la guerre avant le reste de lâAmérique ?
â Je veux mettre certaines choses au point.
â Parfait.
â Ce nâest pas moi qui ai livré à vos concurrents les informations concernant Miss Gousseïev. Vos patrons le croient, pourtant ce nâest pas le cas.
â Je sais.
Il mâaccorda un regard, mais je continuai à fumer en surveillant la lumière de lâaube dans le parc devant nous.
â Votre visite à la prison était une pure idiotie, KÅnigsman. Et mêler Shirley à cette stupidité encore plus. Comment avez-vous pu
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