L’Inconnue de Birobidjan
rapport sous les yeux. Marina est sauvéeâ¦
â Câest parfait, Al. Vraiment très bien.
Il se retourna vers moi. Ses gros yeux de myope me fixèrent comme si jâétais un gosse quâil fallait apaiser par des balivernes.
â Quâest-ce qui vous a secoué comme ça, T. C. ? Vous avez écouté la radio ? Vous savez, pour la Corée ?
â La Corée⦠Jâai appris la nouvelle dans la nuit. Pas vraiment une surprise, nâest-ce pas ?
Jâaurai dû mâen douter. Pas impossible quâil ait eu lâinformation avant Wood lui-même.
â Alors ?
â Je viens de la prison.
â Il est arrivé quelque chose à Marina ?
â Non. Elle va⦠aussi bien que possible.
â Vous lâavez vue ?
â Pendant trois heures.
â Les Soviétiques étaient là  ?
â Non, jâétais seul.
â Elle vous a parlé pendant trois heures ?
Je notai la pointe de jalousie dans ma voix. Il opina, désigna du menton la bouteille vide.
â Vous nâavez rien dâautre à boire ?
â Il y a un drugstore à lâangle de Grafton Street. Je peux aller nous chercher une bouteille et des sandwiches. Ãa me prendra cinq minutes.
â Bonne idée.
â Vous êtes certain quâelle va bien ?
Il me montra la porte.
â Allez-y, sâil vous plaît. Je vous raconterai ensuite.
Quand je vissai mon chapeau sur ma tête, il se décida à faire une grimace qui pouvait passer pour une tentative de sourire.
â Saluez vos amis de lâOldsmobile au passage.
à mon retour, il était toujours debout devant la fenêtre. Il remplit son verre mais refusa les sandwiches. Je nâeus pas à le relancer pour quâil me raconte ce quâil venait dâapprendre. Il le fit en marchant de long en large dans la pièce, la voix sourde, les yeux rivés au sol. De quoi donner le tournis.
Ce fut dâabord étrange de ne plus entendre Marina raconter elle-même son histoire. Cela rendait les choses un peu lointaines. Plus floues, aussi. Compte tenu de ce que T. C. allait me confier, ce fut sans doute mieux ainsi.
Â
Marina commença par lui demander ce quâil faisait là .
â Je suis ici pour vous écouter, Miss Gousseïev. Je ne suis pas un juge, pas un sénateur, pas même un journaliste. Je suis avocat. Je veux que vous sortiez de cette prison.
Elle sourit. Avec lâair de se moquer.
â Je me fiche de la prison. Ce nâest rien.
â Si vous ne me donnez pas les moyens de vous en extirper, Miss Gousseïev, cette prison vous mènera tout droit à la chaise électrique.
Ãa nâimpressionna pas Marina.
â Vous voulez mourir ? sâindigna T. C.
Dâun de ses regards bleus que je connaissais trop bien elle lui cloua le bec, comme sâil ignorait de quoi il parlait. T. C. nâaurait pas été étonné que Marina appelle la gardienne pour retourner dans sa cellule. Finalement, elle lâassaillit de questions : Pourquoi voulait-il lâaider ? Qui le payait ? Est-ce quâil travaillait pour les Soviétiques de lâambassade ? Comment avait-il eu connaissance de son histoire ?â¦
â Je lui ai parlé de vous, Al. Elle mâa lancé : « Ah oui, lâhomme à la carafe ! Il mâa rendu visite, lui aussi. Le FBI mâa interrogée pendant une heure pour savoir si je le connaissais. Ils croient quâil est avec ceux de lâambassade. Il ne mâa attiré que des ennuis. »
Leur entretien faillit se terminer ainsi. Mais T. C. est un homme patient. Il resta sur sa chaise, les mains posées sur la table, donnant du temps à Marina, calmement, sans lâaffronter. Elle finit par marmonner :
â Personne nâa envie dâentendre ce qui mâest arrivé. Moi, je nâai pas envie dâen parler.
T. C. ne bougea pas un doigt. Marina se décida. Elle commença par lui raconter ce bel été où elle avait parcouru le Birobidjan avec Apron. Elle jouant et chantant dans les kolkhozes et les garnisons, tandis quâApron soulageait ces Juifs fuyant lâEurope à feu et à sang pour se perdre dans la paix de la taïga. Puis elle raconta le mariage secret. La synagogue des
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