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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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de rire de choses pareilles. Il secoua la tête. Il avait besoin de reprendre son souffle. Je ne le bousculai pas. Je me doutais que la suite allait être plus difficile à entendre. Finalement, il reprit :
    â€” Marina m’a dit : « Dès qu’on entre dans un camp, on doit tout de suite devenir un zek, un “rien de rien”. Ils nousont fait aligner dans un couloir, puis mettre en rang par cinq pour nous compter. Odin, dva, tri … Les gardes se trompaient souvent, alors ils recommençaient. Odin, dva, tri … Ça n’allait pas, parce que des femmes tombaient, mortes. Alors ils recomptaient, nous et les mortes. Odin, dva, tri … Quand ils ont eu le compte, ils nous ont ordonné de nous déshabiller. On devait jeter nos loques loin de nous. Après, avec leurs doigts crasseux, ils sont venus vérifier qu’on ne dissimulait rien. Ils criaient : “Ouvre la bouche, lève les bras, écarte les doigts…” Ils nous soulevaient la langue et les seins, ils tiraient les poils de nos aisselles, pour le cas où on y aurait caché quelque chose. Ils fouillaient tout. “Écarte les jambes, penche-toi en avant, écarte les fesses !” De leurs doigts immondes, avec leurs ongles immondes. Certaines pleuraient, gémissaient. D’autres avaient des crises d’hystérie et se faisaient gifler. Mais on obéissait. C’était fait pour ça. Le dressage devait commencer immédiatement.
    Â«Â Après, toujours nues, ils nous ont conduites aux latrines. Un couloir où on ne peut pas respirer, des trous dans le sol et rien d’autre. On était cent, au moins. En ligne, attendant notre tour devant celles qui s’accroupissaient. Beaucoup avaient la diarrhée. Si on avait pu, on serait toutes mortes.
    Â«Â Après les latrines, on passait à la toilette. Des jets d’eau froide, sans savon ni quoi que ce soit pour se laver vraiment. Ensuite, d’anciennes détenues nous ont tondues comme des bestiaux de la tête à l’entrejambe. Après seulement on a pu se rhabiller. Et encore en rangs par cinq pour rejoindre les cellules. Des cellules occupées par cinquante ou soixante femmes, avec à peine assez d’espace pour passer entre les châlits sans paillasse. Partout des cordes tendues pour sécher le linge qu’on avait lavé en même temps que notre peau. Un vacarme à devenir folle. Les vieilles zeks hurlaient contre les nouvelles qui prenaient de la place. Les nouvelles geignaient de terreur. Les murs de béton résonnaient à rendre sourde… Ce n’était que le premier jour. Après… après, il y a eu tout le reste. »
    Je ne me rendis pas tout de suite compte que T. C. s’était tu. Les mots de Marina grondaient dans ma tête. Je la voyais, elle. Elle telle que je la connaissais. Et des images que j’avais déjà vues l’accompagnaient, des images dont les nazis nous avaient abreuvés.
    Je ne tins pas. J’allai vomir dans la salle de bains.
    Quand je revins, T. C. était appuyé contre la fenêtre ouverte. Il reprit :
    â€” Elle est restée dans ce camp jusqu’au printemps 1945. Des fouilles à nu comme celle du premier jour, il y en avait au moins une fois par mois. Selon la lubie des gardiens. Les détenues travaillaient dans les ateliers. Un atelier de couture qui produisait des tenues d’hiver pour l’Armée rouge – l’atelier « facile », comme l’appelle Marina. Et un atelier de tôlerie pour la fabrication des pièces légères de canon. Là, le travail est dangereux, les machines à emboutir sont capables de vous arracher un bras ou une tête à la moindre inattention. Le principe est élémentaire : les zeks sont nourries en fonction de leur rendement. Les plus épuisées travaillent de moins en moins, mangent de moins en moins. Elles finissent par crever sur leur machine, ou de maladie, ou de froid. Les rations sont si maigres qu’il n’est pas question de les partager. Ce serait s’affaiblir à son tour. Donc l’entraide n’existe pas. Seules les plus fortes survivent. Très simple, très économique. Pas besoin de tuer. Gousseïev a commencé à l’atelier de tôlerie, comme toutes les nouvelles zeks, et ensuite…
    T. C. s’interrompit brutalement. Je vis ses

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