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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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épaules trembler. Il s’affala sur le canapé.
    â€” Apparemment, elle s’est débrouillée pour changer d’atelier. Une histoire de spectacle pour les gardes. Elle m’a dit : « Heureusement que j’ai pensé à ce spectacle avant de me transformer en squelette. Même les hommes les plus abrutis n’aiment pas voir des mortes debout. »
    T. C. se tut. Sa bouche n’était plus qu’un fil. Je marmonnai :
    â€” Je croyais que c’était fini. Que les nazis avaient atteint le fond et qu’on n’entendrait plus de telles horreurs.
    T. C. haussa les épaules avec un petit ricanement.
    â€” Elle a vu ma tête. Que j’avais du mal à encaisser. Elle m’a demandé si j’étais juif. Je lui ai dit que je ne l’étais pas. Je lui ai demandé : « Pourquoi me posez-vous cette question ? » Elle m’a répondu : « Les Juifs ont appris à vivre avec ces choses-là. Mais Staline est plus malin qu’Hitler. Il a compris que les morts ne servent à rien. C’est inutile, un mort. Même un mort juif. Les cadavres ne charrient pas le charbon dans les mines et ne cousent pas d’uniformes. Et pourquoi n’exterminer que les Juifs quand tous les vivants peuvent être coupables de vivre ? Staline ne réduit pas les êtres en cendre et ne les transforment pas en savon. Il use. Il use les corps, l’intelligence, la volonté, l’amour… Vous savez qu’un soir j’ai dansé avec lui ? Pas seulement dansé, bien sûr. Il y a presque vingt ans de cela. J’étais une si jeune fille ! Je n’avais pas de coquille pour me protéger. Cette soirée est toujours en moi, comme un poison. Pourtant, c’est grâce à elle que j’ai rencontré Michael. Que j’ai aimé ces femmes du Birobidjan, si belles, si douces avec moi. Comment peut-on comprendre cela ? »
    T. C. reprit son souffle, gonfla sa poitrine comme s’il voulait expulser un feu invisible. Nos regards finirent par se croiser. Il secoua imperceptiblement la tête.
    â€” Je n’ai pas répondu. Il n’existe aucune réponse. Ce qui était épouvantable, c’était de la voir là, devant moi. Si belle, si… oui, si désirable. Une femme que l’on rêve de prendre dans ses bras. Et là, d’un coup, je n’osais même plus regarder ses mains. La chair de ses joues me faisait honte. Je voyais ce que ces types lui ont fait subir. Leurs doigts sur son corps, l’humiliation, la haine, la destruction… De savoir à quel point on l’a souillée ne nous remplit pas seulement de honte, Al. Ça nous détruit aussi.
    Ã€ mon tour, je ne pouvais que me taire. T. C. poursuivit :
    â€” Maintenant, on sait d’où vient sa force, n’est-ce pas ? Elle a survécu. Ils ne l’ont pas détruite. Pas vraiment. Ellem’a dit : « À Khabarovsk, quand ils m’ont oubliée dans ma cellule, j’ai cru devenir folle. Puis j’ai compris quelque chose. Ce que je vivais, mon époux le vivait aussi. En pire. Pensez, un espion américain ! Chez nous, en Union soviétique ! Qu’il ait sauvé des vies au Birobidjan, qu’il ait soigné les vieux et les enfants, qu’il ait fait le bien, personne ne s’en soucierait. Même des rats seraient mieux traités que lui. Alors j’ai eu cette pensée : si je tenais, Michael tiendrait. Si je tenais, je le sauverais. Je n’ai plus pensé qu’à ça. Il serait vivant aussi longtemps que, moi, je tiendrais. J’aurais presque crié de joie d’avoir eu cette pensée. Une coque très dure, merveilleuse, s’est formée au fond de moi. Un refuge hors d’atteinte des gardes et des autres zeks. J’y ai recueilli tout ce qui comptait pour moi, tout ce qui m’était précieux. Le reste n’était plus que de la chair sans âme. Marina Andreïeva Gousseïev était protégée dans cette coque indestructible. Et tant qu’elle serait à l’abri, Michael le serait aussi. »
    Le silence revint dans la pièce. L’odeur d’alcool dans le verre de T. C. me donnait la nausée. Finalement, j’allai dans la cuisine me chercher un verre d’eau. À mon retour, T. C. était debout, le chapeau

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