L’Inconnue de Birobidjan
à la main. Je lui demandai :
â Comment a-t-elle fait pour quitter le camp ?
â Je ne sais pas. Je nâai pas eu envie de poser la question.
â Et pour Apron ? Elle vous a dit ?
â Non. On nâavait plus le temps. Il y avait déjà un moment que les gardiennes sâimpatientaient pour la reconduire à sa cellule. Mais on va le trouver dans le rapport, je suppose. Dès que vous lâaurez, faites-moi signe. Quâon la sorte de prison le plus tôt possible.
â Comment comptez-vous vous y prendre ? Vous nâallez pas courir au bureau de Cohn pour lui mettre le rapport sous le nezâ¦
T. C. esquissa un sourire.
â Non. Dommage. Jâaurais aimé voir sa tête⦠On trouvera un moyen. Elle ne restera pas là -bas un jour de plus. Pas question.
Je savais à quoi il pensait : chaque heure que Marina passait dans sa cellule de lâOld County Jail, câétait comme si nous poursuivions le supplice commencé à Khabarovsk.
Sur le seuil de lâappartement, en mettant son chapeau, T. C. murmura :
â Vous avez compris quâaucun homme ne pourra plus approcher cette femme, Al ? Ni vous, ni personne ?
Â
Les choses se passèrent assez simplement. Le crépuscule nâétait plus loin et la voix de Bill Haley sortait de ma radio. Je mâengourdissais sur mon canapé. Lâaprès-midi avait été trop long. Trop lourd de pensées inutiles. Et de trop dâattente. La sonnette me tira de ma torpeur.
Il me fallut une bonne seconde pour être certain que câétait elle. Elle portait lâuniforme des livreuses du Jackson Speedee Service. Pantalon blanc moulant aux hanches, spencer ultra-cintré brodé de cordons pourpres qui rappelait la tenue des dompteurs de fauves. Ses cheveux disparaissaient sous une casquette de « rouleur » à longue visière. Son sourire vermillon remontait ses pommettes, et ses yeux de chatte se moquaient de moi.
â Shirley !
â Jâapporte la commande, mâsieur !
Elle me flanqua trois cartons à pizza sous le nez et me repoussa pour entrer dans lâappartement. Les cartons déposés sur ma table, elle ôta celui du dessus.
â Celui-ci contient une vraie pizza. Tu peux ouvrir les autres.
Elle disparut dans la cuisine pendant que jâobéissais. Dans le deuxième carton se trouvait une épaisse liasse de pages dactylographiées : la transcription des prises sténo des audiences de Marina. Je déchirai le couvercle du dernier. Lâen-tête de lâOSS barrée dâun tampon rouge â Copy / Classified / AUTHORIZED PERSONNAL ONLY â me sauta aux yeux.
Le rapport !
Il était composé dâune dizaine de feuillets de ce papier presque transparent que lâadministration fournissait à la fin de la guerre.
â Satisfait de la livraison, mâsieur ?
Sur le seuil de la cuisine, Shirley ôta sa casquette, secoua la tête. Le flot de ses cheveux roula sur ses épaules. La lumière du crépuscule illuminait ses iris, révélait des petites taches de rousseur sur ses tempes et son front. Elle était magnifique. Même cette tenue stupide nâarrivait pas à le masquer. Elle lança sa casquette sur la table. Son parfum sâéchappa du tissu. Ce parfum français quâelle ne quittait plus.
Elle remarqua :
â Tu as une sale tête.
â Pas beaucoup dormi la nuit dernièreâ¦
â Mmm⦠Câest vrai. Tu tâes souvenu du parking du Titanic Memorial sans difficulté ?
â Câest Wood qui a eu cette idée ?
Elle rit, fit danser ses cheveux pour les ramener en arrière.
â Mon bel uniforme pour tromper les braves gars du FBI qui sâennuient devant ta porte ou le rendez-vous avec le sénateur ?
â Les deux.
â Mon ex-patron a seulement approuvé mon sens de la stratégie.
â Ton ex-patron ?
â Je démissionne de son secrétariat.
â Shirleyâ¦
â De mon plein gré. Nous avons conclu un marché.
â Le FBI tâa coincée pour cette foutue autorisation de visite à la prison ?
â Même pas. Câest moi qui suis allée voir ce bon sénateur pour le lui avouer.
â Maisâ¦
â Du
Weitere Kostenlose Bücher