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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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plus dans les « zones réservées ». Ils pouvaient choisir leur travail. Des camarades citoyens comme les autres. Un peuple comme les autres de la grande union des peuples soviétiques. Sauf qu’ils n’avaient toujours pas de terre ni de pays. Les Juifs rêvaient encore et encore de leur Israël… « Eh bien, nous, les bolcheviks, a dit Staline, nous réalisons leur rêve. Le rêve de tous les Juifs du monde : on leur donne un pays. Le Birobidjan. Israël en Sibérie ! » Polina Molotova était bouche bée. Elle est juive. Comme bien d’autres au Politburo, à l’époque. Kaganovitch, Boukharine… Et quand ce n’étaient pas les hommes qui étaient juifs, c’étaient leurs épouses. Kalinine riait et expliquait : « Ils seront libres. LeBirobidjan sera un oblast indépendant, comme tous les oblasts de l’Union soviétique. Ils cultiveront la terre, et ce sera toujours mieux que les koulaks. Au moins, là, pas de famine à craindre… » Staline a ajouté : « Ils parleront le yiddish. Pas l’hébreu. L’hébreu, c’est bon pour les synagogues. Le yiddish, c’est leur vraie langue depuis mille ans. Ils mangent, ils dansent, ils chantent en yiddish. Parfait. Une langue, un peuple, un pays. Voilà la recette du bonheur des bolcheviks ! » Ce genre de discours. Avec des toasts, bien sûr. Ça a duré un moment. Je ne me souviens pas de tout. Je n’écoutais qu’à moitié. Ça ne m’intéressait pas beaucoup.
    Cohn ricana :
    â€” Le destin des Juifs ne vous intéressait pas, Miss Gousseïev ?
    â€” À ce moment-là, je me demandais surtout comment cette soirée allait se terminer pour moi.
    â€” Vous n’aimiez pas les Juifs ?
    â€” À l’époque, non.
    â€” Ah ? Vous avez changé d’avis depuis ?
    â€” J’avais à peine vingt ans. J’étais comme tout le monde.
    â€” Vous voulez dire que les Russes n’aiment pas les Juifs ?
    â€” Pas plus qu’on a l’air de les aimer ici, dans cette commission. En tout cas, d’après ce que j’ai pu lire dans les comptes rendus des journaux.
    Ce fut énoncé calmement, sans quitter Cohn des yeux. Ça valait un grand coup de torchon dans la figure, et c’est comme ça qu’il le prit. En grimaçant. Il y eut des grondements dans la salle. Une voix aigre et un accent du Texas s’imposèrent :
    â€” Miss… Miss Gee… quel que soit votre nom, si vous continuez sur ce ton, je demanderai au président Wood de clore l’audience et vous irez tout droit en prison. Vous n’êtes pas ici pour exprimer vos jugements sur cette commission.
    C’était Nixon, incliné sur son micro tel un vautour. Elle se tourna pour lui faire face. Elle souriait. Le premier vrai sourire que je lui voyais. Magnifique, triste, profond. Sans une parcelle de crainte. Je n’en revenais pas. Elle s’amusait.
    â€” De toute façon, monsieur, c’est là que vous allez m’envoyer, n’est-ce pas ? En prison. Quoi que je dise, ça finira de cette manière. Nous le savons tous.
    Non. Elle ne s’amusait pas. Il m’a fallu quelques jours pour le comprendre. Elle avait besoin de parler, de raconter son histoire. Un besoin immense. Aussi vital que respirer ou manger. La raconter devant la Commission n’avait aucune importance. Ou peut-être était-ce le meilleur moyen pour que le plus grand nombre puisse l’entendre ? Il fallait que toute cette histoire sorte de son cœur, de sa tête. Cohn, Wood, Nixon, McCarthy… Tous ces types qui voulaient la coincer n’étaient pas près de lui faire peur.
    Elle garda le sourire.
    â€” Vous m’avez demandé la vérité. La voilà. Je ne dis rien d’autre. La vérité comme je la connais. Et la vérité, c’est que je n’aimais pas les Juifs à l’époque. Pour les mêmes raisons que tout le monde ressasse. Les Juifs sont trop ceci et pas assez cela. Trop intelligents, trop malins, trop riches, trop avocats, médecins, professeurs, musiciens, acteurs… À l’époque, avant le Birobidjan, il y avait quantité d’acteurs juifs à Moscou. Et des théâtres juifs partout, dans toutes les

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