L’Inconnue de Birobidjan
détritus repoussés à la hâte, ils étaient vides. Les portiques avaient été démontés. Il ne subsistait plus un fil sur les rampes dâéclairage, pas le moindre morceau de décor. Pas même une chaise.
Marina sâapprocha du bâtiment administratif. Le réfectoire avait été déménagé, comme le reste, si bien vidé que personne nâavait éprouvé le besoin dâen fermer les portes à clef. Elle hésita. Tout était si calme ! Depuis quand nâavait-elle pas entendu pareil silence ?
Quantité de bureaux et de réduits occupaient lâétage. Au moins aurait-elle un toit. Il lui suffirait de trouver un tapisou même quelques cartons pour se faire une couche. Elle était assez épuisée pour dormir à même le sol.
Ses pas résonnèrent sur le carrelage. Le couloir de lâaccueil et la large volée dâescaliers étaient sans lumière. Elle poussa des portes. Ici et là , il restait des armoires vides, parfois une table. Elle grimpa au second, lâétage des réalisateurs, comme on lâappelait. Elle eut une surprise.
Le long bureau encombré de tables à dessin, de classeurs, de tableaux noirs et de fauteuils avait été vidé lui aussi. Mais il possédait une arrière-pièce munie dâun lavabo, dâune penderie et dâun étroit divan. Les metteurs en scène sây reposaient. Certains y passaient parfois la nuit. Une alcôve qui avait la réputation dâavoir abrité bien des secrets. La couchette était encore là , recouverte dâun kilim. Les vieilles photos de plateau étaient toujours punaisées sur les murs. Quelques livres et des dossiers sâentassaient sur les étagères. Un samovar électrique trônait sur une table basse, avec des verres et une petite serviette. Des rideaux pendaient devant lâétroite fenêtre. Marina les tira. Elle sâallongea sur le divan, ferma les yeux et sâendormit en guettant le silence.
Un éclair traversa ses paupières. Elle se réveilla brutalement. Le noir autour dâelle était absolu. Elle avait la sensation de nâavoir dormi que quelques minutes.
Elle perçut une présence, un frôlement. Elle se redressa en hurlant.
Une voix sâexclama :
â Marina Andreïeva !
â Qui est là  ? Qui êtes-vous ?
â Nâayez pas peur ! Câest moi, Kaplerâ¦
â Alexeï Jakovlevitch ! Que faites-vous ici ?
â Pardonnez-moi, Marina Andreïevaâ¦
Ils reprirent leur souffle tous les deux. Elle rit nerveusement.
â Mon Dieu, quelle peur vous mâavez faite !
â Je ne mâattendais pas à trouver quelquâun. Ne mâen voulez pasâ¦
â Non, non, je vous en prie ! Ne vous excusez pas, Alexeï Jakovlevitchâ¦
â Dans le noir, jâai dû vous frôler. Pour un peu, je tombais sur vous.
â Il fait nuit ?
â Tout à fait nuit. Comme il se doit après le coucher du soleil.
â Oh ! Jâai lâimpression de nâavoir dormi quâune minuteâ¦
â Il ne reste plus très longtemps avant lâarrivée des cafards du ciel. Peu de chance quâils se montrent en retard. Les Fritz sont très ponctuels, comme vous le savez.
Kapler grogna, amusé.
â Nous chuchotons comme deux gosses qui se cachent dans le noir, alors que personne ne peut nous entendre ni nous voir. Lâélectricité est coupée dans tout le bâtiment. Par chance, nous ne sommes pas tout à fait aveugles.
Le faisceau dâune lampe de poche éclaira le mur opposé à la fenêtre. Dans la pénombre, Marina devina le visage souriant de Kapler.
â Jâaimerais être plus romantique, Marina Andreïeva. Vous jurer que je vous ai reconnue à votre seul parfum ou à vos soupirs ensommeillés. Mais non. Jâai entendu un souffle. Jâai eu une peur bleue et jâai poussé le bouton de cette lampe de poche sans réfléchir. Le monstre, câétait vous.
Marina sourit à son tour. La légèreté de Kapler la réconfortait. Sa présence la rassurait. Elle connaissait Kapler de réputation depuis des années. Pour la première fois, ils avaient travaillé ensemble, sur le film de Kozintsev. Kapler en avait
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