L’Inconnue de Birobidjan
faut vous soigner, Marina Andreïeva. Vous ne pouvez pas laisser vos mains dans cet état.
Marina les retira de la lumière.
â Quelques jours sans serrer un manche de pioche ou de pelle, et ça disparaîtra.
â Non. Certainement pas. Vous nâêtes pas la première que je vois avec des plaies pareilles. Si vous ne les soignez pas, elles sâinfecteront, et vous serez incapable de vous servir de vos mains. En ce moment, il ne faut pas trop compter que le temps soigne quoi que ce soit.
La voix de Kapler sâétait faite grinçante et amère. Il éteignit la lampe de poche. Marina lâentendit qui se levait dans lâobscurité.
â Il y avait une armoire à pharmacie par ici. Dans un bureau ou un débarras au fond du couloir. Avec un peu de chance, elle nâaura pas été vidée etâ¦
â Lioussia ! Lioussia ! Ãcoutez !
Ils reconnurent le grondement. Très lointain encore. Mais leurs oreilles étaient exercées. Kapler ricana.
â Aussi parfaitement à lâheure que des amants à leur premier rendez-vous.
Le hululement des sirènes explosa.
â Il nây a pas dâabri, ici, poursuivit Kapler en élevant la voix. Tout au plus une cave sous la cuisine. Voulez-vous que je nous y conduise ?
â Non. Surtout pas. Je déteste être enfermée là -dessous, à guetter les bombes. Jâai lâimpression de les attirer plutôt que de mâen protéger. Je préfère ne pas bouger.
Il ne répondit pas. Le vacarme des sirènes sâéteignit. Le grondement des avions enflait de seconde en seconde.
Marina devina que Kapler se rasseyait sur le sol. Elle nâaurait su dire sâil avait peur.
â Cela ne me fait rien de rester seule ici, si vous voulez descendre, Alexeï Jakovlevitch.
â Pas question ! Je préfère de beaucoup être sous votre protection quâaller me terrer sous les cuisines. Mais je vous serais reconnaissant de ne plus me donner de lâAlexeï Jakovlevitch. Si nous devons être ensevelis sous ce bâtiment, je préfère être un bel oiseau quâun petit bonhomme.
Il nây eut pas de rire. Malgré eux, ils guettaient ce moment désormais bien connu où les vitres et les murs se mettaient à vibrer sous le vacarme de la DCA.
Marina sâinclina vers lui.
â Vous ne devriez pas rester par terre. Il y a de la place sur ce divan. Autant être un peu à lâaise.
Les premiers claquements saccadés dâune batterie antiaérienne les surprirent quand même. De longues salves qui nâen finissaient pas. Elles paraissaient toutes proches. Puis ce furent des explosions. Des bombes incendiaires, peut-être. Loin. Plus au nord de la ville. Le quartier ne semblait pas encore visé. Mais les murs du bâtiment étaient si minces quâils frissonnaient comme du papier.
Malgré lâobscurité, Marina ferma les yeux. Son cÅur battait plus fort. Ses mains se mirent à lui faire mal. On aurait cru que les plaies sâouvraient seules. Un étrange effet de la peur. Comme si la terreur cherchait à repousser son sang hors de son corps. Il faisait soudain chaud dans la pièce. Ãtouffant. Il fallait garder la bouche ouverte pour respirer.
Elle eut vaguement conscience que Kapler bougeait dans lâalcôve. Il y eut un bruit dâeau. Les tirs de la DCA, le bourdonnement des Heinkel, les coups sourds des explosions réclamaient toute son attention. Pourtant, elle le savait : il ne fallait pas chercher à reconnaître chaque son. Ne pas guetter le martèlement des bombes, les hurlements des moteurs signalant des avions touchés. Ne pas imaginer le mal qui sâapprochait.
Impossible.
Câétait comme si on lâavait devant soi. Des pas de géant. Des semelles dâacier et de feu qui écrasaient tout, fendaient les murs de la ville. Fendaient la terre.
â Marina Andreïevaâ¦
Elle sursauta. Kapler lui effleurait lâépaule, lui parlait à lâoreille.
â Marina Andreïeva, enveloppez vos mains dans ce linge mouillé. Cela calmera un peu la douleur, en attendant mieux.
La serviette humide frôla son bras nu. Marina la serra précautionneusement entre ses paumes. Câétait vrai. La fraîcheur du linge la soulageait un peu.
Comment Kapler avait-il su
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