L’Inconnue de Birobidjan
dâair. Ce serait encore une journée étouffante. La fumée de lâincendie mal éteint stagnait au-dessus du quartier. Plus personne ne remuait les briques et les pans de plâtre. Les familles que Marina avait côtoyées depuis si longtemps sâen allaient vers un nouveau refuge. Quelques-unes avaient déniché des charrettes. Dâautres poussaient des voitures dâenfant, une bicyclette grinçante. Tout ce qui pouvait transporter quelque chose. Marina aurait pu se joindre à elles. On lâaurait accueillie comme on accueillait ceux qui nâavaient plus rien. Elle ne bougea pas. Elle ne songea même pas à se montrer ou à dire adieu. Elle nâavait que le désir du repos.
Plus tard, très souvent, elle se souvint de cet instant comme de celui qui avait décidé du reste de son existence. Et, au contraire de ce quâelle pouvait craindre alors, cela commença par un grand bonheur.
Â
Au milieu de la matinée, lâorage qui menaçait éclata. Marina avait fini par sâendormir sur le banc. Le tonnerre la réveilla. Tout lui revint dâun coup : la bombe, lâincendie, sa chambre disparue. Les premières gouttes dâune pluie tiède sâécrasèrent dans les allées du parc. En quelques minutes, ce fut le déluge. Marina nâeut que le temps de rejoindre le boulevard pour se mettre à lâabri sous une porte cochère.
La fraîcheur soudaine de lâorage la fit frissonner. Elle nâétait vêtue que dâune légère robe de toile. Rien de beau ni dâélégant, seulement un vêtement solide. Elle sortit le châle de son sac et sâen couvrit les épaules. Elle se sentait abandonnée, incapable de penser. Pourtant, elle devait se décider. Que faire ? Où aller ?
Câest ainsi, devant le ruissellement de lâorage, quâelle songea à se rendre aux studios Mosfilm. Voilà deux mois quâelle nây avait pas mis les pieds. En juin, Grigori Mikhaïlovitch Kozintsev lâavait fait travailler dans un film de qualité : Une certaine nuit . Un rôle où elle pouvait montrer ce quâelle valait. Le premier depuis longtemps. Kozintsev était respecté. Malgré lâomniprésence de la censure, ses films demeuraient ambitieux. Marina savait quâelle lâavait impressionné. Il aimait le théâtre autant que le cinéma. Il en avait parlé avec elle.
â Marina Andreïeva, où est ton ambition ? Ta place est au théâtre. Tu vas bientôt avoir trente ans. Câest criminel, de gâcher tant de promesses !
Elle nâavait pas eu à lui répondre. Les bombardiers de la Luftwaffe rugissaient dans le ciel de Moscou. Les tournages avaient été interrompus.
Aujourdâhui, si elle songeait aux studios, ce nâétait pas pour y jouer. Là -bas, elle trouverait des vêtements, peut-être même un lit. En espérant que les bombes nâaient pas tout détruit.
Â
La Mosfilm occupait un vaste parc dans le quartier Ramenki, près dâune boucle de la Moskova. Il y avait des sources, des ruisseaux, des buttes boisées, des ponts, des datchas et de fausses granges de lâOural où se tournaient les extérieurs. Dâimmenses hangars abritaient les plateaux. Une foule de décorateurs y montaient et démontaient de fausses cloisons dâappartement, des façades de ruelles ou des écuries. On pouvait y accueillir des wagons, des calèches ou des autobus. Un atelier de tracteurs y avait même été reconstitué.
Cependant, le quartier Ramenki était très à lâouest de Moscou, la zone la plus touchée par les bombardements. Plus Marina sâen approchait, plus elle redoutait que les studios aient été réduits en poussière.
Mais non. Tout ici avait été épargné. Pas une bombe, pas un obus nâavait effleuré les bâtiments ou les arbres du parc. La barrière métallique de lâentrée principale était cadenassée. Comme ceux qui, un jour, avaient voulu éviter les contrôles à lâentrée, Marina connaissait dâautres passages.
Elle fit le tour du parc. Derrière une haie de lilas, elle se glissa par-dessus un vieux portail de bois. Une allée en courbe contournait les pièces dâeau jusquâaux hangars. à lâexception de
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