L’Inconnue de Birobidjan
cabas. Elle venait de passer des heures à la recherche de quelques kilos de choux et de pommes de terre. Lâappartement bruissait de voix. Alexeï Jakovlevitch était entouré dâune dizaine dâhommes et de femmes.
à travers la fumée de cigarette, elle reconnut des visages. Des écrivains, des acteurs, des peintres, des décorateurs. Des gens quâelle avait quelquefois croisés dans son travail. Elle nâaurait pu les appeler par leurs noms mais elle savait une chose : ils étaient tous juifs et amis de Lioussia.
Elle entra dans la pièce avec ses cabas. Ils se levèrent pour la saluer. Lâembarras figeait leurs sourires. Marina nây aurait pas prêté attention si le regard de Kapler nâavait brillé dâironie.
Elle porta ses sacs à la cuisine. De retour, elle sâimmobilisa dans le couloir pour écouter la conversation. Plusieurs personnes parlaient en même temps. Des mots, des phrases de yiddish sâentremêlaient au russe. Kapler nâétait pas le plus calme. Sans surprise, il était question de la guerre, de la défense de Moscou, du peuple russe. Et des Juifs.
â On ne va pas rester les bras croisés sous prétexte quâon est juifs ! sâénervait une femme. Juive, jâai compris que je lâétais seulement lâan dernier, quand on mâa balancé ces pétitions de merde à la figure. Russe, je le suis depuis toujours.
â Les Fritz sont dâaccord avec toi, Ileana : Slaves ou Juifs, pour eux, câest pareil, la coupa une voix dâhomme. Undermenshen  ! Des sous-hommes, voilà ce quâon est.
â Alors, ça me fait deux raisons dâentrer au Comité !
â La question nâest pas dâêtre contre les fascistes, Ileana, protesta un autre. Aujourdâhui, tout le monde est antifasciste. Même un nourrisson soviétique est un combattant de lâantifascisme. La question, câest de le clamer sous le prétexte quâon est juifs. Pourquoi se faire remarquer une fois de plus ? Ces pétitions de merde, comme tu dis, elles nâont pas été lancées par hasard. Staline et le Parti nous ontlaissés tranquilles pendant vingt ans. Maintenant, ça recommenceâ¦
â Les pétitions, je mâen fous, Semion. Les nazis ne lancent pas des pétitions : ils tuent. Et ils nous extermineront jusquâau dernier. Ils ne sâen cachent pas. Tu sais ce que les nazis font en Pologne, en ce moment même, pendant quâon parle ? Lâidéologie du grand Reich planétaire dâHitler, les lois antijuives dans toute lâEurope, câest pour nous transformer en cadavres. Rien dâautreâ¦
â Qui te dit que notre cher Iossif nâa pas la même idée, Ileana ?
â Ne sois pas stupide ! Tu insultes les hommes qui meurent à Stalingrad pendant que tu es assis sur ta chaise !
â Je suis de lâavis dâIleana. Jâai confiance en Mikhoëls. Il faut le soutenir. Plus nous serons nombreux au Comité, mieux ça vaudraâ¦
â La question nâest pas dâavoir confiance en Mikhoëls, Natacha. Nous lâaimons tous. Nous le suivrons jusquâen Sibérie, sâil le faut. Mais je ne veux pas mourir idiot. Et je nâai pas oublié Erlich et Alter.
â Lioussiaâ¦
â Laisse-moi parler, Ileana. Jâai passé lââge et lâenvie de jouer les aveugles. Pour ceux qui lâauraient oublié, je vous rappelle que le Comité antifasciste juif nâest pas une idée de Mikhoëls ou dâEhrenbourg. Elle est sortie de la tête du camarade Lavrenti Beria et du NKVD.
â Non ! Tu ne peux pas dire ça. On la doit à Erlich et à Alter, deux types de Pologne qui ne sont pas des vendus.
â Certainement non. Et jâai le plus grand respect pour eux⦠sâils vivent encore ! Mais la première fois quâon a entendu parler de ce Comité, câétait lâété dernier. Erlich et Alter sortaient tout droit de la Loubianka. Erlich a fait une réunion avec Mikhoëls. Ileana peut le confirmer, elle y était, comme moi. Il nous a assuré que Beria et Staline le soutenaient. Le Comité antifasciste juif allait devenir le plus grand mouvement de résistance juive au nazisme ! Il jubilaitcomme un
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