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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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toujours prudent d’égarer ce qui vous est précieux. Elleest là, dans ces vieux classeurs que Kozintsev a sagement oublié d’emporter. Je voulais monter cette pièce au Théâtre d’art l’hiver dernier. Ça n’a pas été possible. La poésie de Maïakovski est officiellement merveilleuse, mais son ironie montre, tout aussi officiellement, un nihilisme incompatible avec la réalité bolchevique… Vous n’avez pas connu Vladimir Vladimirovitch, n’est-ce pas ? Vous n’aviez pas vingt ans quand il a achevé sa pièce. Mais si vous l’aviez entendu, vous l’auriez aimé ! « Ma pièce La Punaise est une affaire de cirque et de feu d’artifice ! C’est une pièce avec des tendances animées . Rendre vivantes l’agitation, la propagande, la tendance, voilà la difficulté et le sens du théâtre d’aujourd’hui. Les gens de théâtre ont pris l’habitude de devenir des emplois. Le comique, l’ingénue, que sais-je… Des offices de bureaucrates tatillons et dénués d’imagination ! Voilà ce qui engendre l’horreur archaïque du théâtre d’aujourd’hui. Le théâtre a oublié qu’il était spectacle. Qu’il était le feu d’artifice de l’âme et la table des protestations ! Les acteurs ont un devoir : être la vie qui nous prend à la gorge et nous pousse dans les reins… »
    La voix de Kapler, singeant celle de Maïakovski, s’enrouait. Marina s’engourdissait à l’écouter. Le grondement des Heinkel faiblit enfin. Les salves de la DCA cessèrent. Le hululement des sirènes annonça la fin de l’alerte.
    Le silence revint. Ils étaient épuisés l’un et l’autre.
    â€” C’est terminé, murmura Marina. C’est terminé pour cette nuit.
    Alexeï Jakovlevitch ne répondit pas. Il quitta le divan en grognant, tâtonna pour atteindre le lavabo. Marina l’entendit boire au robinet. D’une voix caverneuse, il proposa une tasse d’eau. Tandis qu’elle buvait, il dit :
    â€” Je crois qu’il est plus sage de rester ici pour la nuit. On s’en ira discrètement à l’aube. Installez-vous sur le divan, Marina Andreïeva. Je trouverai bien de quoi me faire un nid.
    Dans le noir, un sourire dans la voix, Marina répondit :
    â€” Si je dois vous appeler Lioussia, vous allez devoir trouver autre chose que des Marina Andreïeva.
    Il eut un petit rire sec, annonça qu’il allait faire un tour dans le bâtiment. Dénicher l’armoire à pharmacie, si elle existait encore. Il alluma brièvement sa lampe de poche pour sortir de l’alcôve. Ses pas résonnèrent dans le bureau vide, atteignirent le couloir. Marina se glissa sur le côté, se roulant en boule, la tête sur le coussin, pour plus de confort. Elle tenta encore de guetter les pas d’Alexeï Jakovlevitch. Abandonna aussitôt.
    Elle avait bien assez épié de bruits pour cette nuit. Elle s’endormit sans s’en rendre compte.
    Quand elle se réveilla, une lumière dorée traversait les rideaux. L’air de l’alcôve était asphyxiant. Kapler dormait profondément, le buste adossé au mur, la tête reposant sur son bras, les jambes hors du canapé. Il avait laissé autant de place que possible entre eux. Son visage était lisse, paisible, mais son souffle lourd. Un peu de sueur luisait sur ses tempes. Les boucles drues de ses cheveux noirs recouvraient son bras. Il portait une fine chemise de coton bleue. Il l’avait largement déboutonnée. Une veine battait à petits coups espacés sous la peau fine de son cou. Marina l’observa longuement. Aucun mauvais souvenir ne vint lui brouiller les yeux.
    Dehors, dans le parc autour du bâtiment, des oiseaux pépiaient avec énergie, comme s’il s’agissait d’un jour comme un autre.
    Elle quitta le divan avec précaution, entrouvrit la fenêtre sans tirer le rideau. L’air frais de l’aube pénétra dans l’alcôve, le jacassement des oiseaux enfla, impérieux. Elle se dévêtit devant le lavabo. La serviette serrée sous l’avant-bras, elle se nettoya tant bien que mal. Elle s’efforçait d’être silencieuse. Elle aurait voulu se laver

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