L’Inconnue de Birobidjan
Elle pensait même comme eux !
Elle aurait pu sâavancer vers eux. Sâexcuser. Elle aurait peut-être dû.
Elle nâen avait pas la force. Elle devinait dâavance leurs regards et leur air. Impossible. Son orgueil le lui interdisait.Son orgueil luttait désespérément contre la honte. Lui trouvait des raisons pour ne pas sâhumilier davantage. Et puis, elle ne faisait pas partie de leur monde. Elle ne saisissait pas leurs plaisanteries. Ils parleraient yiddish pour se moquer dâelle, quâelle nây comprenne rien. Une manière de lui montrer quâelle nâétait pas des leurs. Quâelle ne le serait jamais.
La réunion dura si longtemps quâelle sâétait assoupie quand Kapler entra dans la pièce.
â Marinotchka ?
Elle était tellement engourdie quâelle ne se leva pas. Kapler nâalluma pas, laissa la porte entrouverte. La lumière du couloir dissolut lâombre. Il vint sâasseoir sur le sol, à côté du fauteuil où elle sâétait réfugiée. Marina ne put sâempêcher de songer à lâalcôve de la Mosfilm, quand il sâétait assis dans lâobscurité au pied du divan.
Elle nâosa pas le toucher, lui caresser la tempe et le cou, comme elle aimait à le faire. Pas même lui prendre les mains. Il dit :
â Ce nâétait pas la peine de te cacher. Tu aurais pu venir avec nous. Câétait lâheure des décisions vitales.
Lâironie et la tristesse grinçaient dans sa voix éraillée par le tabac. Son haleine sentait la vodka. Comme elle ne répondait pas, il ajouta :
â Il gèle, ici. Ãa fait du bien, après ces heures de palabres. Mon Dieu, ce quâon peut parler ! Câest à cause de Mikhoëls. Il est à Tachkent avec la troupe du GOSET. Il crée un « Comité antifasciste juif ». Les types du GOSET sont des militants. Théâtre yiddish, culture yiddish, etc. Et nous, nous sommes des « Juifs dâoccasion ». La question est de savoir si nous participons. Losovski, Ehrenbourg et dâautres se sont déjà inscrits. Il paraît que Staline verrait ce comité dâun bon Åil. Mais tout le monde a la trouille. Ce genre dâinitiative peut se retourner contre nous. Ce ne serait pas la première fois. Câest notre bonne vieille histoire : il nâest jamais bon pour un Juif de se faire trop remarquer.
Marina connaissait Solomon Iossifovitch Mikhoëls de réputation. Il dirigeait le GOSET, le Théâtre national juif.Elle ne lâavait jamais rencontré ni nâavait assisté à une seule de ses représentations. Pourtant, le GOSET était célèbre dâun bout à lâautre de la Russie. La troupe jouait exclusivement des pièces yiddish en yiddish. Elles avaient un immense succès auprès du public, juif ou pas juif. Depuis des années, Mikhoëls était considéré comme lâun des maîtres du travail dâacteur. Le plus grand depuis Stanislavski. De nombreux comédiens non juifs suivaient son enseignement. Certains allaient en cachette le voir et le revoir jouer afin de comprendre son travail.
Kapler rit. Un rire sans entrain, pas aussi grinçant quâil lâaurait souhaité.
â Bon, la suite est connue dâavance. On va tous sâinscrire au Comité. Tout le monde le savait avant de boire le premier verre. Mais câest toujours pareil, on ne peut rien décider sans se noyer dans les mots !
Il lui saisit les mains, pressa ses paumes gelées contre son visage brûlant, soupira doucement.
â Tu aurais dû venir avec nous. Pourquoi te geler dans cette pièce ?
â Lioussia, depuis quand sais-tu que jâai signé ces pétitions ?
â Quelle importance ?
â Dis-moi.
â Avant de te voir sur le tournage de Kozintsev. Ce nâest pas si grave. Tout le monde signe ce genre de pétitions, Marinotchka. Elles nâont aucune importance.
Il avait parlé trop vite. Dâune voix trop indifférente. Un bon acteur, lui aussi. Sâil lui cachait la vérité, sâen apercevrait-elle ?
Il baisa ces paumes quâil avait massées avec tant de tendresse pour en apaiser les plaies. Elle demanda encore :
â Ce soir, tout le monde le savait ?
â Ceux
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