L’Inconnue de Birobidjan
mains de Marina.
â La guerre nâempêche pas de travailler. Aucune guerre nâa tué le théâtre depuis Aristophane. Tu dois travailler. Le talent nâest pas tout. Tu as du retard à rattraperâ¦
Marina devait apprendre tous les rôles de La Punaise .
â Homme ou femme, vieille toupie ou jeunot boutonneux, tu dois être capable de tout jouer.
Le froid redoubla. La neige se mit à tomber à gros flocons. La ville ralentit encore. Des barricades furent dressées sur les avenues, les boulevards, bloquant ce qui restait de circulation. Lâair glacé bourdonnait nuit et jour des échos de la bataille qui se rapprochait. On ne pouvait sâempêcher dâécouter, de comparer. Ce coup nâétait-il pas plus proche que le précédent ? Et celui-là plus fort encore ? On racontait que ces salauds de Fritz possédaient des canons monstrueux, capables de tirer des obus à plus de cent kilomètres.
Une de ces fins dâaprès-midi qui vous laissaient sur les nerfs, Marina, pour la première fois, joua en entier la pièce de Maïakovski devant Alexeï Jakovlevitch Kapler.
Elle joua comme il le lui avait demandé. Les vieilles et les jeunes, les femmes et les hommes. Pas de costume. Elle ne portait quâun pantalon et un chandail noirs. Ses mouvements, ses mains, son visage et sa voix devaient seuls produire le comique du spectacle et lâillusion de vérité.
à la fin, elle salua aussi sérieusement que si elle avait été sur scène. Des larmes brillaient dans les yeux dâAlexeï Kapler. Il lâenlaça, la baisa en tremblant.
â Ne meurs pas. Ne meurs jamais !
Cette nuit-là , ils firent lâamour avec plus de tendresse et de lenteur que jamais, sâefforçant dâeffacer par leur plaisir le martèlement obsédant des canons.
Plus tard, quand le vacarme des bombardiers cessa, Marina lui raconta la nuit de novembre 1932 où elle avait dansé avec Staline. Elle raconta ce qui sâétait passé dans la petite salle de cinéma et ce quâelle savait de la mort de Nadedja Allilouïeva.
Quand elle se tut, Alexeï Jakovlevitch ne posa pas de questions. Ne fit pas de commentaires. Il la maintint serréecontre lui. Elle finit par sâendormir. Au petit matin, quand elle se réveilla, il avait toujours les yeux ouverts et la tenait toujours entre ses bras.
Â
Dans les derniers jours de novembre 1941, le froid gela les chemins de boue. Les routes redevinrent praticables. Les Panzers approchèrent à cinquante kilomètres de Moscou. Puis, en quelques jours, le thermomètre descendit jusquâà moins vingt-cinq. Les croûtes de neige se firent coupantes. Les soldats de la Wehrmacht gelèrent sur place. Leurs maigres manteaux ne les protégeaient plus. Le froid épuisait leurs dernières forces. Les soldats de lâArmée rouge, qui tentaient une contre-offensive, commencèrent à en trouver sur le bord des chemins. Ils sâétaient effondrés dans les fossés, raides comme des statues, le visage grimaçant sous la pellicule de glace.
à Noël, il fit moins trente. La neige sâépaissit dâun mètre de plus. Après la nouvelle année, dans la première semaine de 1942, la température descendit encore de quelques degrés. Les avions et les tanks de la Wehrmacht refusèrent de démarrer. Les mains des conducteurs gelaient sur les volants. Lâhiver, le plus féroce depuis des décennies, devint le maître de la guerre. Il sauva Moscou et peut-être bien lâURSS tout entière.
Staline avait fait revenir des centaines de milliers de soldat du front de Mandchourie. LâArmée rouge sâélança contre lâenvahisseur épuisé. à son tour elle progressa à une vitesse foudroyante. Pour la première fois, aux portes de Moscou, on vit marcher des milliers dâAllemands vaincus et dépenaillés.
Lâorgueil et la rage de vaincre sâemparèrent de lââme russe. Repousser la horde malfaisante dâHitler était donc possible. Il ne sâagissait plus de travailler uniquement pour la gloire meurtrière de Staline : le peuple russe ne songeait quâà la libération de sa terre bien-aimée.
Â
Au début du mois de mars 1942, juste avant la nuit, Marina revint rue Leisnoï chargée de
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