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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Marina la soumit à la politruk, la commissaire politique de son atelier. On la questionna pendant une bonne heure. Quinze jours plus tard, elle fut déplacée sur une nouvelle chaîne de l’atelier. On y fixait les manches des « saucisses » aux têtes de charge. Un travail délicat mais physiquement moins éprouvant. Surtout, chaque jour, elle pouvait quitter l’atelier à quinze heures pour rejoindre le théâtre.
    Elle découvrit très vite qu’aucune pièce n’y était en répétition officielle malgré l’annonce de la proche réouverture. Les acteurs s’y comptaient sur les doigts d’une main. Les actrices y étaient un peu plus nombreuses, mais cela obligeait à un choix contraignant. En outre, Kamianov ne parvenait pas à connaître les œuvres autorisées par la censure. Il passait des heures interminables et inutiles au téléphone. Personne ne voulait prendre la responsabilité d’une décision. Chacun savait qu’il fallait attendre la volonté du Kremlin. Il en allait ainsi depuis bien avant la guerre.
    Fin juillet, l’ouverture du théâtre fut repoussée au mois de novembre. Kamianov proposa que chacun mette cette pause à profit pour travailler un pot-pourri de scènes piochées dans le répertoire. Ce ne serait pas du temps perdu. Plutôt un véritable travail d’atelier, comme l’aimait le grand Stanislavski, le fondateur du Théâtre d’art. Pour quelques temps les acteurs seraient leur propre public. Un public impitoyable…
    Marina accueillit ce délai avec soulagement. Le trac de se retrouver devant un véritable public la taraudait déjà. Pourtant, ce n’était rien comparé à la terreur qu’elle croyait avoir vaincue et qui lui ôtait de nouveau le sommeil. Que se passerait-il quand Staline apprendrait – car il l’apprendrait – qu’elle était de retour sur scène ?
    Cent fois Kapler l’avait assurée que Staline ne se souciait plus d’elle : « Tu dois retourner sur scène. C’est ton devoir. Le théâtre russe est debout. Il a besoin de toi. Staline lui-même viendra t’applaudir. »
    Comme elle aurait voulu partager cette certitude ! Staline n’oubliait rien. Jamais. Qui pouvait en douter ?
    Malgré tout, peut-être Lioussia avait-il raison. Si Moscou n’était plus menacée, la guerre était plus dure et plus meurtrière que jamais. Les Allemands atteignaient les portes du Caucase et de la Volga. Stalingrad était enserrée dans un étau mortel. Peut-être Staline avait-il aujourd’hui d’autres chats à fouetter que d’effacer le souvenir d’une petite actrice consommée un soir de beuverie au Kremlin ?
    Comme toujours, le destin lança les dés à sa façon.
    Â 
    Un soir neigeux de fin novembre, Kamianov convoqua Marina dans son bureau. Derrière les verres épais de ses lunettes, des cernes sombres engloutissaient les yeux épuisés du directeur. Il demanda à Marina si elle avait reçu des nouvelles de Kapler. Elle répondit que non. Elle lui avait écrit plusieurs lettres sans savoir s’il les recevrait.
    Kamianov opina.
    â€” J’ai lu ses reportages dans L’Étoile rouge … Vous aussi, n’est-ce pas ?
    Bien sûr, qu’elle les avait lus et relus. Kamianov tenta de sourire. Il alluma une cigarette, grommela à voix basse :
    â€” Je ne retrouve pas toujours son style, cependant. Ces petites phrases qu’on lit par-ci, par-là, du genre : La foi et l’amour de nos glorieux soldats ont accompli un nouveau miracle… Ce n’est guère son penchant. On trouve ces fioritures à l’identique dans les reportages de Grossman et d’Ehrenbourg. Peut-être la Krasnaïa Zvezda n’a-t-elle plus qu’un seul correcteur ?
    Il eut un rire silencieux. Sa main gauche glissa sur son crâne chauve. Son regard se voila. Son fils, comme des millions de fils, était dans l’enfer de Stalingrad. Lui y était pour tuer ou pour se faire tuer.
    â€” Au moins, murmura Kamianov, que ces articles soient publiés, c’est une bonne nouvelle qui nous arrive.
    Marina approuva d’un signe. Elle s’était répété mille fois la même chose. Elle comprenait et partageait la

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