L’Inconnue de Birobidjan
une vraie, nâirait pas sâembourber dans une histoire pareilleâ¦
â Ou elle ferait le pari du « plus câest gros, plus ça passe ». Cette histoire de coucherie avec lâOncle Joe, vous y croyez ?
Je haussai les épaules. T. C. avait raison de douter. Câétait son boulot. Moi, jâavais entendu Marina parler de cette nuit au Kremlin et que jâen avais encore des frissons dans la nuque.
â Ce que je crois, T. C., câest que dans trois jours McCarthy, Nixon et toute la bande lui colleront sur le dos le meurtre de ce type, lâagent de lâOSS. Ils ont compris la même chose que moi : elle nous raconte toute cette histoire parce quâelle nâa rien dâautre. Si elle avait la moindre preuve de son innocence, elle nous lâaurait déjà sortie. Ils le savent. Ils ont flairé le sang comme ces chacals qui tournent autour des bêtes à lâagonie. Ils ont tout leur temps, ils sont déjà vainqueurs. Un peu de patience, et la curée nâen sera que meilleure. Que Marina soit espionne ou pas, quâelle ait tué ou non lâagent Apron, on ne le saura jamais. Elle est déjà en taule, seule, complètement isolée. On ne lui a même pas apporté une paire de bas de rechange. Quâest-ce quâelle peut faire ? Il ne lui reste plus quâà raconter son histoire quand on lui en donne lâoccasion. Peut-être quâelle lâa compris, quâelle joue le temps, elle aussi ? Quâelle se repasse son passé avant de se faire massacrer ? Je ne sais pas. La seule chose certaine, câest que McCarthy et ses copains ne vont pas tarder à nous sortir leur grand numéro de prestidigitateur. Et je nâai aucune envie de les regarder faire en baissant les yeux.
Je savais T. C. assez cynique pour sourire de mon indignation. Il sâen abstint, esquissa une moue dâapprobation. Ses yeux grossis par les loupes de ses lunettes sâécartèrent de mon visage. Il gratta une allumette et incendia pensivement une cigarette.
â Vous pensez à lâaffaire Hiss ?
Bien sûr, que je pensais à lâaffaire Hiss. Depuis que Wood mâavait demandé de quitter la salle dâaudience, je ne pensais quâà ça.
Lâhiver dernier, de New York à San Francisco, le procès de « Hiss, le traître », « Hiss, lâespion », avait occupé toutes les unes. Né dans une famille de cols-bleus comptant chaque dollar, Alger Hiss nâavait pas deux ans lorsque son père sâétait suicidé. Malgré cela, il avait accumulé les bourses et accompli un beau parcours. Ãtudes de droit à Harvard, intégration dès 1933 de lâéquipe de conseillers de F. D. Roosevelt, puis entrée au Département dâÃtat cinq ans plus tard. Devenu spécialiste de lâExtrême-Orient, nommé au bureau des Affaires politiques spéciales en 1944, il sâétait tenu derrière le fauteuil de Truman à Yalta avant de participer à la naissance des Nations unies. Une ascension parfaite. Du moins jusquâen 1948, année où les audiences de lâHUAC commencèrent à devenir le cauchemar dâun bon nombre de citoyens américains.
Le 3 août 1948, pressuré par Nixon et quelques autres, un ancien membre du Parti communiste américain, Whittaker Chambers, fournit des noms de « camarades ». Celui dâAlger Hiss fut prononcé. Une divine surprise. Hiss nâavait jamais caché son soutien aux démocrates, câétait un vrai libéral, un homme de gauche. Atteindre Hiss, câétait atteindre le président Truman et cette « clique de gauchistes » qui occupait la Maison Blanche. En outre, pour Nixon et ses soutiens républicains, Hiss avait commis, quinze ans plus tôt, un crime impardonnable : conseiller légal dâune instance fédérale de régulation agricole, il sâétait opposé à la destruction des petits fermiers de lâArkansas par les puissantes compagnies dâagro-business.
Nixon et lâHUAC nâavaient quâun problème : Chambers ne possédait aucune preuve de ce quâil affirmait. Nixon résolut la question avec lâaide de Hoover. Le patron du FBI rêvait de « prouver » que les démocrates nâétaient que
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