L’Inconnue de Birobidjan
puissance. Tout de même, lâonde de choc de Joe 1 avait ébranlé Truman en personne. Tous les experts étaient dâaccord. Cinq ou six ans plus tôt, les physiciens soviets ne connaissaient rien à la fission nucléaire. Ils en avaient volé la recette là où elle se fabriquait. Chez nous : dans notre centre atomique de Los Alamos.
â Des rumeurs tournent depuis mai, mâexpliqua T. C. Le FBI aurait mis la main sur un physicien venant dâAngleterre. Un type nommé Klaus Fuchs, un Allemand, communiste de la première heure. Il a fui en Angleterre en 34, les nazis voulaient lui faire la peau. Il était à Los Alamos de 44 à 46. Il y a mis au point les calculs théoriques de la bombe, la fission du Césium 235 et dâautres babioles du genre. Il nâa jamais cessé dâêtre un agent des Soviets. Les services britanniques lâont arrêté il y a six mois. En mars, il a reconnu avoir fait parvenir toutes les données possibles aux Russes depuis dix ans.
Jâeus un sifflement dâadmiration.
â Ce nâest pas tout. Fuchs a livré quelques noms de camarades aux Anglais. Il y a trois semaines, le FBI a arrêté son « courrier », un gars du nom de Harry Gold. Celui-là non plus nâa pas lâair dâêtre resté muet longtemps. Ils sont en train de remonter la chaîne, Al. La semaine dernière, le FBI a mis la main sur un certain David Greenglass. Juif, ingénieur mécanique à Los Alamos en même temps que Fuchs. Gold lâaurait payé pour quâil fauche des documents⦠Peut-être bien que câest des informations de ce genre qui traînaient dans ce dossier qui passionnait McCarthy. Dâautant queâ¦
T. C. se tut avec un air de bateleur. Je ne comblai pas le silence. Inutile. Il allait sâen charger.
â Dâautant que le procureur général en charge des dossiers de Gold et de Greenglass nâest autre que ce vieux Saypol. Le patron de Cohn qui siège tous les jours à la Commission et qui soigne votre Russe. Je suppose que vous voyez le tableau, maintenant ?
Bien sûr que je voyais. La boucle était bouclée.
Si Nixon et McCarthy parvenaient à prouver que Marina Andreïeva Gousseïev était liée dâune manière ou dâune autre à ces types, ils prouveraient par la même occasion quâun agent de Staline vivait et espionnait tranquillement chez nous depuis des années tout en vidant nos armoires secrètes.Si, par-dessus le marché, elle avait assassiné lâagent de lâOSS, autant dire quâils avaient gagné le gros lot. Ils tiendraient la preuve de ce quâils clamaient depuis des mois : non seulement le président Truman laissait les Rouges sâamuser chez nous comme bon leur semblait, mais il ne se donnait même pas la peine de protéger lâÃtat. à moins quâil nâait choisi de protéger les Soviets !
Je soupirai en écrasant mon mégot. Je me resservis un doigt de bourbon sans demander lâautorisation à T. C. Au moins, nâavais-je pas eu à poser de questions pour quâil mâoffre ce que jâétais venu chercher.
â Une situation amusante, Al. Si lâon ne sâattache pas trop aux personnes. Amusante et, ma foi, intrigante. Je veux bien vous donner un petit coup de pouce. Mais ce que je trouverai ne vous plaira peut-être pas.
â Je suis un journaliste, T. C. Vous savez que seule la vérité et les faits vérifiés mâintéressent.
Jâessayai de mettre de la fermeté dans mon ton. T. C. ne parut guère convaincu. Son rire fluet me poursuivit alors que jâengageais ma Nash dans la longue ligne droite de Washington Parkway pour revenir en ville. Cette fois, la nuit tombait.
Â
Shirley habitait un élégant trois-pièces dans les immeubles récents de Massachusetts Avenue. Le balcon de sa chambre donnait sur la longue coulée de Rock Creek Park. Je savais quâil était délicieux dây prendre son petit déjeuner. Elle mâouvrit dans un kimono doré où des hirondelles voletaient entre des têtes de pivoines judicieusement disposées. Elle ne souriait pas. Jâavouai bêtement la vérité :
â Désolée, Shirley, je suis en retard.
Elle sâécarta pour me laisser entrer.
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