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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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dit…
    Sous le choc, les mots peinaient à franchir les lèvres de Marina. Le politruk haussa les épaules.
    â€” Quelqu’un a dû oublier. C’est la guerre. Tout ne peut pas être parfait.
    â€” Mais nous avons nos papiers…
    Le politruk lui tendit la liasse des documents.
    â€” Tu as tes papiers, camarade. Moi, j’ai mes ordres. Personne ne descend du train avant Khabarovsk.
    â€” Mais qu’est-ce qu’on va faire ? Ces gens viennent de…
    â€” Ça va. Je sais d’où ils viennent. Changement de programme. C’est tout.
    Il reboutonna son manteau. Marina devina les murmures autour d’elle. Le soldat se décolla de la cloison, releva sa lampe, le fusil à la main. Le politruk tira sur la porte. Marina saisit la manche du lieutenant alors qu’il couvrait son crâne de sa chapka.
    â€” Où va-t-on aller ?
    Sans répondre, le lieutenant se dégagea d’un coup de coude. Avant de sauter sur le quai, le politruk lança :
    â€” Vous irez où on vous dira d’aller. Ceux de Birobidjan ont l’habitude. Ils sauront quoi faire de vous.
    Â 
    Le train repartit au milieu de la nuit. Il s’ébranla sans que le moindre coup de sifflet annonce son départ. Marina n’avait pas eu grand-chose à expliquer à ses compagnons de voyage. Le patriarche avait demandé :
    â€” Birobidjan ? Fini, pas possible ?
    Elle avait voulu parler des Japonais, de la guerre, des espions. Le vieillard l’avait interrompu avec un ricanement.
    â€” Guerre, pas la guerre, pareil pour les Juifs. Birobidjan pareil. Même chose partout. Pas de place pour les Juifs.
    Marina avait été sur le point de protester. Pourtant ce n’étaient pas des mots qui étaient venus, mais des larmes. Un flot de larmes. Une houle trop longtemps retenue, amère, pleine de honte.
    Le patriarche avait hoché la tête. Ensuite, il y avait eu des cris, de la colère, des discussions sans fin. Marina n’en comprenait pas un mot. Les sons liquides et rauques du yiddish flottaient autour d’elle, la repoussant dans sa solitude. Elle s’était retirée sur sa banquette, incapable de trouver le sommeil. Qu’allait-elle faire, si elle ne pouvait entrer au Birobidjan ? Où aller ? Qu’allait-il se passer à Khabarovsk ?
    Ã€ Moscou, on connaissait ce nom de la Sibérie : Khabarovsk. Si on le prononçait, c’était pour évoquer ceux qui y disparaissaient dans l’abîme des camps de travail du Goulag.
    Les camps de zeks ! Voilà ce qui les attendait.
    Voilà le cadeau de Iossif Vissarionovitch Staline. Il ne l’avait pas fait arrêter par les manteaux de cuir. Elle n’avait pas connu les couloirs de la Lubianka. Le train qui l’emmenait à Birobidjan était un train ordinaire. Aucun obstacle, aucune tracasserie ne l’avait empêchée d’obtenir l’aide deMikhoëls. Pourquoi se serait-il donné cette peine, puisqu’elle se jetait d’elle-même dans l’enfer des zeks ?
    Car bien sûrIossif Vissarionovitch savait où elle fuyait. Et savait qu’elle n’y parviendrait jamais. Qui mieux que lui et que le NKVD savaient que le Birobidjan était une zone militaire fermée où nul ne pouvait entrer ?
    Staline savait tout. Toujours. Pourquoi l’avait-elle oublié ? Pourquoi avait-elle cru à…
    Ã€ quoi ? À sa poussière d’affection ? À sa nostalgie au souvenir d’une nuit d’ivresse et de fausse tendresse avec une petite actrice ?
    Quelle naïveté ! Elle devenait vraiment juive ! Aussi crédule que ces pauvres gens qui fuyaient les massacres nazis avec l’espoir qu’on les accueillerait à l’autre bout de la Sibérie !
    Jamais Staline ne cesserait d’être Staline. N’y avait-il pas eu assez de mensonges et de douleurs pour le prouver ?
    Secouée par le ballant du train, elle fut incapable de dormir. Les questions, la peur l’étouffaient. Une ou deux fois, elle se releva pour alimenter le poêle. Malgré le froid, les femmes l’oubliaient. Serrées les unes contre les autres, elles chuchotaient jusqu’à l’ivresse.
    L’épuisement fit enfin son œuvre. Marina s’endormit un peu avant le jour. Un mauvais sommeil, de mauvais rêves que

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