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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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patriarche, qui devaient se demander ce que cette jeune juive allait faire à Birobidjan, sans homme, sans enfant, sans famille. Avaient-ils deviné la vérité ? C’était bien possible. Comment pouvaient-ils ne pas se rendre compte qu’elle était une goy ? La honte la saisissait. L’envie lui venait de clamer la vérité : « Je vous mens, je ne suis pas des vôtres. Je vais seulement me cacher parmi vous pour ne pas devenir une zek ! »
    Elle se cloîtrait dans son coin. Rouvrait pour la centième fois l’un des livres qu’elle avait emportés avec elle mais qu’elle ne pouvait pas lire par manque de lumière. Ou fermait les yeux, murmurant telle une prière ces vers qu’elle avait découverts comme si Pasternak les avaient écrits pour elle :
    Â 
    Tout se tait. Je suis monté sur scène
    Et j’écoute, adossé au montant
    De la porte, la rumeur lointaine
    Qui annonce ce qui m’attend 1 ...
    Â 
    Maintenant, il ne devait plus être loin de minuit. Deux fois déjà la garde avait été relevée. Le frappement des bottes des soldats sur la neige gelée du quai de la gare de Yekaterinaslavka devenait obsédant. Le halètement de la locomotive n’avait pas cessé, il paraissait seulement plus lent, plus faible. Une seule lampe à huile brûlait au centre du wagon. Le poêle rougeoyait faiblement. Les femmes comptaient lesbûches et ne le rechargeaient qu’au dernier moment. Le froid durcissait les visages. On se serait cru dans un terrier. Des yeux luisaient dans les ombres figées. Personne ne parlait ni ne tentait de dormir. Pas même les enfants. Pourtant, il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre.
    Marina sursauta. Une silhouette se dressait devant elle sans qu’elle l’ait vue venir. Elle reconnut le vieil homme. Le blanc de sa barbe formait une tache floue. Il demanda :
    â€” Tu sais ? Toi, tu sais ?
    Marina s’assit, pas certaine de comprendre. Le patriarche répéta :
    â€” Ici, pourquoi. Le train ?
    Il fit un geste vers le fond du wagon.
    Marina secoua la tête.
    â€” Non, je ne sais pas. Ils n’ont rien dit.
    â€” Soldats pour nous ?
    â€” Non ! Tout le train. Pas nous. Tout le monde pareil !
    Elle aussi gesticulait, parlait mal. Le vieux la considéra en silence. Elle crut qu’il cherchait à poser une autre question. Non. C’était à elle de parler. Elle retrouva le mot appris avec les enfants : geduld , pour patience. Elle le murmura :
    â€” Geduld, geduld …
    Le patriarche se détourna, grogna :
    â€” Geduld, toujours geduld ! Pour quoi faire ?
    Â 
    Un nouveau coup de sifflet les tira de leur torpeur. Il y eut un grondement d’ordres. Les mousquetons des fusils cliquetèrent. Dans le wagon, les hommes se mirent debout. La porte coulissa dans un grincement de ferraille. La nuit sibérienne bondit à l’intérieur. Le vent se levait.
    Fusil à l’épaule, un soldat entra, tenant une lampe au kérosène. Le lieutenant qu’ils avaient déjà vu sur le quai des heures plus tôt apparut. Et derrière lui un long jeune homme maigre qui ne devait pas avoir trente ans. Son manteau de fourrure, serré à la taille par une ceinture de cuir aussi large qu’une main, était trop grand pour lui. Quandson visage pénétra dans l’éclat de la lampe, l’insigne du NKVD brilla sur sa casquette fourrée. Un commissaire politique, un politruk.
    Le soldat referma la porte. Il sentait la laine gelée. Des glaçons dansaient entre les fils de son écharpe. Il la laissa sur son visage. Le kérozène projetait une violente lumière bleue. Les enfants, à demi assoupis, se protégèrent les yeux de la main. Le politruk déboutonna le haut de son manteau. Le lieutenant ôta sa chapka, dévoilant un crâne chauve et livide. Ses yeux étaient injectés de sang, le gel avait tracé de fines crevasses noires sur ses joues. Il réclama les papiers, l’haleine puant l’alcool. Le patriarche n’eut pas à traduire. Chacun comprit et tendit les précieux documents.
    C’était un rituel. Leurs passeports avaient déjà été vérifiés cent fois. Ils devaient l’être encore. Le politruk les réunit dans son poing.

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