L'industrie de l'Holocauste Reflexion sur l'exploitation de la souffrance des juifs
121.
propos de la singularité de l'Holocauste, Elle Wiesel ne l'est pas moins à propos de la singularité des juifs. « Tout, en nous, est différent ». Les juifs sont « ontologiquement » exceptionnels '^. Couronnement d'un millénaire de haine des juifs, l'Holocauste est la preuve non seulement de la souffrance unique des juifs mais aussi de la singularité des juifs eux-mêmes.
Pendant la seconde guerre mondiale et juste après, raconte Novick, presque personne au gouvernement [américain], et presque personne en dehors de lui, juif ou non, n'aurait compris la phrase « l'abandon des juifs ». Le renversement s'est fait après la guerre de 1967. « Le silence du monde », « l'indifférence du monde », « l'abandon des juifs », ces thèmes sont devenus des leitmotivs du « discours de l'Holocauste^" ».
Adoptant un thème sioniste, le cadre idéologique de l'Holocauste fait de la solution finale de Hitler l'apogée d'un millénaire de haine des juifs. Les juifs ont péri parce que tous les autres, aussi bien comme auteurs ou comme collaboateurs passifs, voulaient leur mort. «Le monde libre et "civilisé" », d'après Wiesel, « a livré les juifs au bourreau. Il y avait les tueurs, les assassins et il y avait ceux qui gardaient le silence^' ». Les preuves historiques de l'élan criminel des Gentils sont nulles. L'efffort pesant de Daniel Goldhagen pour prouver une des variantes de cette thèse dans Les bourreaux volontaires de Hitler n'obtient qu'un résultat comique ^^. Son utilité politique, en revanche, est considérable. On peut noter, en passant, que la théorie de « l'antisémitisme éternel » donne, de fait, des armes aux antisémites. Comme le dit Arendt dans Les Origines du totalitarisme, « l'adoption de cette doctrine par les antisémites coule de source, car elle constitue le meilleur alibi possible des pires horreurs. S'il est exact que l'humanité s'est obstinée à assassiner les juifs pendant plus de deux mille ans, alors l'assassinat des juifs est un acte normal et même humain et la haine des juifs est justifiée sans qu'il soit besoin d'avancer le moindre argument. L'aspect le plus surprenant de cette explication est que beaucoup d'historiens dépourvus de parti-pris et un nombre encore plus important de juifs l'ont adoptée ^^ ».
19.y^ies&l, Against Silence,v.\,Y>. 153. Wiesel, Aniif/îe Sea, p. 133.
20. Novick, The Holocaust, p. 59, pp. 158-159.
21. Wiesel, Andthe Sea, p. 68
22. Daniel Jonah Goldhagen, Hitler's Willing Executioners, New York, 1996. Pour une critique, cf Finkelstein et Birn, Nation.
23. Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism,New York, 1951, p. 7.
Le dogme de l'Holocauste sur la haine éternelle des Gentils a servi à la fois à justifier la nécessité d'un état juif et à expliquer l'hostilité envers Israël. L'état juif est le seul garde-fou contre le prochain accès inévitable d'antisémitisme ; inversement, l'antisémitisme meurtrier est le mobile de toute attaque ou même de toute manœuvre défensive contre l'état juif. Pour expliquer les critiques envers Israël, la romancière Cynthia Ozick a une réponse toute prête : « Le monde veut éliminer les juifs... le monde a toujours voulu éliminer les juifs ^"^ » Si tout le monde voulait la mort des juifs, alors il serait très étonnant qu'il en restât encore - et que, contrairement au reste de l'humanité, ils ne soient pas, et c'est le moins qu'on puisse dire, en train de mourir de faim.
Ce dogme, de plus, donne carte blanche à Israël : puisque les Gentils sont décidés à les assassiner, les juifs ont le droit absolu de se protéger comme ils le jugent bon. Les juifs débrouillards peuvent recourir à n'importe quels moyens, y compris la torture et l'agression, c'est de la légitime défense. Boas Evron regrette « l'enseignement de l'Holocauste » sur la haine éternelle des Gentils parce que, observe-t-il, « cela revient réellement à provoquer délibérément une paranoïa... Cette mentalité pardonne d'avance tout traitement inhumain des non-juifs, parce que la mythologie dominante déclare « que tous les peuples ont collaboré avec les nazis à la destruction des juifs », d'oîi il ressort que tout est permis aux juifs dans leurs relations avec les autres peuples" ».
Dans le scénario de l'Holocauste, l'antisémitisme n'est pas seulement indéracinable mais aussi toujours irrationnel. Goldhagen va beaucoup plus loin que les analyses sionistes classiques, pour ne pas
Weitere Kostenlose Bücher