L'inquisiteur
de brigands a été taillée en pièces, et son chef pendu. Maître Novelli
travaille toujours à convertir son juif. On dit qu’il visite souvent une fille
d’auberge à Avignonet, comme s’il n’y avait pas assez de putains à Toulouse. Pourquoi
ris-tu ?
— La vie me plaît, Salomon, et pourtant je me sens
comme un fantôme dans ce monde.
— J’éprouve le même sentiment, fils, répondit
tranquillement le juif.
Comme ils parvenaient au Port Garaud, quatre moines de la
Daurade qui sortaient d’une barque bafouillèrent des bénédictions empressées au
passage de monseigneur Novelli. Jacques se tint raide sur son cheval et rendit
le salut avec une sévérité très noble.
Épilogue
Salomon d’Ondes se convertit à la religion catholique à la
Saint-Jean d’été, après boire. Vitalis le Troué et frère Bernard Lallemand, revenus
ce jour-là à Toulouse, avaient invité leurs compagnons à un festin de fruits et
de vin sous l’orme de l’Oratoire. Il faisait une chaleur accablante, et le juif
était ivre à demi quand il accepta de jouer sa religion aux deniers, avec frère
Bernard. Le moine, plus saoul que lui, mais d’une habileté très neuve aux
jongleries, n’eut guère de mal à le faire chrétien. Salomon accepta sa défaite
avec une tendre bonhomie, disant qu’il devait en être ainsi. Il fut donc
baptisé le lendemain à la cathédrale Saint-Étienne par Jacques Novelli, en
présence de l’évêque Gui, d’une belle assemblée de fidèles et de Stéphanie, venue
pour l’occasion d’Avignonet.
Jacques, à cette date, avait abandonné sa charge de Grand
Inquisiteur de Toulouse. Il était désormais chanoine de la très riche abbaye de
Fontfroide, que son oncle lui avait laissée en héritage. Au cours de l’hiver
qui suivit, il fut intronisé évêque de Pamiers. Salomon et Stéphanie vinrent
alors s’installer dans cette ville, près de la maison épiscopale où ils s’enrichirent
convenablement à faire commerce de drap et de laine d’Ariège.
Ils parlèrent souvent avec Novelli de la nuit qu’ils avaient
ensemble vécue sur la colline de Naurouze. Salomon prétendit un jour que s’il
avait épousé la foi chrétienne, c’était peut-être en souvenir de ces heures
communes, mais il n’en fut lui-même jamais sûr. Pourtant, au cours d’un séjour
qu’ils firent à Rome (Jacques était alors cardinal), ils résolurent tous les
trois d’être enterrés, quand l’heure serait venue, au pied du chêne double où
était Jean le Hongre. Salomon trépassa le premier. Il y eut sa sépulture, si l’on
en croit le témoignage de frère Bernard Lallemand, qui s’en était revenu en son
couvent des frères prêcheurs après que Vitalis eut été bastonné à mort sur l’ordre
d’un seigneur d’Aquitaine qu’il avait trop rudement raillé. Novelli mourut en
Avignon, auprès du pape Benoît XII, dont il était devenu le confident. Ses
funérailles officielles furent célébrées à Toulouse. Dès la nuit qui suivit, son
corps fut porté en grand secret (Gui de l’Isle était du voyage) à la cime
de cette butte dont un versant connaît des vents que l’autre ignore.
Quant à sa compagne, on ne sait rien d’assuré sur sa fin. Cependant,
les archives d’Avignonet rapportent que le premier jour de l’an 1360 une
très vieille femme fut trouvée morte couchée entre les chênes jumeaux de
Naurouze. Elle était veillée par une boiteuse folle qu’il fut impossible de
séparer d’elle. On peut donc raisonnablement estimer que Stéphanie était venue
mourir auprès de Jacques Novelli, qu’elle ne cessa jamais d’appeler son époux.
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