L'inquisiteur
mi-voix le premier verset de l’Évangile de Jean, comme il faisait d’ordinaire,
pour l’appeler tout près. Puis il lui conta les détours de sa journée, il lui
parla longuement de son âme et de ses errances, avec une confiance infinie. Il
lui demanda de l’aimer, non point de prier pour son salut, mais de l’accueillir
dans son esprit, comme il désirait qu’elle vive dans le sien. Il s’exalta jusqu’à
la supplier de lui porter secours, sans qu’il sache comment cela pouvait se
faire. Avant de se taire, enfin apaisé, il lui dit :
— Que ta main seulement apparaisse au guichet, et je
saurai que tu m’as entendu.
Alors il se sentit empoigné à l’épaule. C’était un soldat du
guet, dont les pas s’étaient confondus avec les bruits du vent. L’homme lui
apprit que la recluse était morte. On l’avait enterrée la veille au charnier
Notre-Dame. Il n’y avait personne derrière le mur.
3
Novelli passa la nuit au Bazacle, priant pour l’âme de la
recluse et pleurant en secret, agenouillé sur le pavé, dans un recoin de la
haute porte. Quand il fut à bout de larmes, une paix nouvelle lui vint, avec le
sentiment impérieux et doux que cette pauvre fille, dont il avait oublié le
visage, ne quitterait plus désormais son esprit, et serait à jamais son amante
inaltérable. Un court moment, le temps d’un silence d’aube entre deux chants d’oiseaux,
il eut la certitude qu’il en serait ainsi. Alors, tout soudain, un fracas de
galop réveilla la ruelle. Il se rencoigna, le front contre la muraille, les
mains sur la figure. Un étrier frôla ses épaules, il sentit passer un grand
vent d’homme sur un cheval large. Il ne se retourna pas. Il savait, il était
sûr que c’était Jean le Hongre qui s’en revenait à son campement après l’avoir
cherché partout. Il attendit, avant de lever la tête et d’ouvrir les yeux, que
le ferraillement de cavalcade ait franchi la porte du Bazacle. Quand le bruit
se fut assourdi dans l’herbe de la rive, il descendit vers le fleuve et aperçut
au loin, dans les premières lueurs, l’ombre du cavalier chevauchant vers
Saint-Cyprien. Cet homme, maintenant, ne lui importait plus guère. Il trouva
bon qu’il s’éloigne ainsi, et se crut pour toujours débarrassé de lui. La nuit,
comme un fardeau, lui tomba des épaules, il soupira profondément et se sentit
léger parmi les parfums vifs du petit jour.
Les Pastoureaux quittèrent Toulouse par la Garonne. Des
brumes traînaient encore au ras de l’eau, mais il y avait déjà de l’or dans l’air,
parmi les oiseaux lents. À la proue du premier chaland, Jean le Hongre, planté
raide sur son cheval de labour, tenait son épée haut levée comme une hampe de
bannière : au bout de la lame flottait un lambeau de tunique frappé d’une
croix. C’est ainsi que Novelli le vit lentement passer, le ciel au front, porté
par le courant du fleuve, avec derrière lui sa troupe affalée dans des bateaux
plats. Ces gens semblaient accablés par les sanglantes saouleries de la veille,
et mal dépêtrés de la nuit. Aucun ne chantait, ni cantique ni paillardise. Seule
musique : des raclements de bâtons et de savates contre les flancs des
barcasses, et de lointains croassements de corbeaux, dans les promesses de
soleil.
Les moulins s’éveillaient. Des têtes aux lucarnes, des
serviteurs frileux menant des chevaux boire regardaient défiler cette croisade
de perdus avec une curiosité vaguement envieuse, bientôt distraite par les
labeurs du jour. Quelques filles se mirent à courir le long de la rive, accompagnèrent
un instant des chiffons lentement balancés à bout de bras dans la brume, signes
d’adieu qui s’en allaient sur l’eau. Dès qu’ils furent éloignés elles se
détournèrent de ces hommes qui s’étaient peut-être frottés à leur peau, et leur
regard changea de lumière. Elles s’en revinrent, préoccupées, déjà, de besognes
quotidiennes. Novelli aima ces gens fidèles à la rive, malgré la tentation des
bateaux. Il les salua, cheminant vers le Pont Couvert et le couvent de la
Daurade dont on voyait au loin, dans la courbe du fleuve, le toit de tuiles
ensoleillées et les feuillages de son jardin qui débordaient des murailles.
« Dieu vous garde », dit-il bonnement à des femmes occupées à puiser
l’eau, à des hommes cheminant vers des vergers, et il pensa que Dieu, en effet,
les gardait dans l’enclos de Toulouse pour que se perpétuent le travail de la
vie et
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