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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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réveillé par les cris des putains. L’autre,
occupé, l’œil luisant, à fouiller les ténèbres où il sentait les filles, lui
répondit d’un signe, désignant le fond de la nuit où se perdaient de vagues
feux le long du chemin de Compostelle. Alors un homme couché dans l’herbe lui
saisit le pan du manteau et lui demanda qui il était. Il rua pour se dépêtrer, mais
la poigne était solide.
    — Je suis le Grand Inquisiteur de Toulouse, dit-il
aussi sévèrement qu’il put.
    Son titre sonna petitement parmi ces gens qui levaient
maintenant des flammes mouvantes au-dessus de sa tête pour le regarder sans
émotion, sans haine ni respect, sans rien dans le regard qu’une froideur de
ciel. Une femme maigre aux doigts griffus lui prit le bras et l’entraîna. Il se
laissa conduire, s’empêchant à grand-peine de trembler, butant contre des corps
endormis, poussé par des mains qui surgissaient de la nuit pour s’agiter autour
de ses épaules, de sa figure. Il lui sembla qu’ils étaient une multitude à les
suivre, lui et la mégère accrochée à son bras, mais il n’osa pas se retourner. Ils
dévalèrent un talus en courant presque, jusqu’au chemin où veillaient des
hommes armés de piques. La femme leur demanda si Jean le Hongre était sous sa
tente. On lui répondit qu’il s’en était retourné en ville rendre visite à l’inquisiteur
Novelli.
    Jacques ne broncha pas mais sentit monter en lui une
jubilation bouleversante. Ainsi, tout à l’heure, il aurait pu rencontrer le
Hongre à quelque carrefour. Ils auraient parlé ensemble, face à face, avec, entre
eux, la seule buée de leur bouche. Ils auraient pu se dire des paroles plus
profondes qu’eux-mêmes, des secrets peut-être, qu’ils auraient niés, plus tard,
devant le monde, mais qui les auraient à jamais unis.
    Il prononça son nom et dit à nouveau son titre, avec une
fureur hautaine, à la face de ces hommes qui le cernaient étroitement. Il y eut
un instant de remuements indécis, puis des gens s’assemblèrent à l’écart. Il
les entendit parler à voix basse. La femme revint seule se planter devant lui, et
le poussant du bout de son bâton :
    — Rentre chez toi et attends-le, dit-elle. Il viendra
sans doute avant l’aube.
    Elle lui vint sous la figure, brandissant haut sa canne et
dit encore, grotesque, fanatique :
    — Il viendra avec sa foudre ou sa bonté, selon l’état
de ton cœur.
    Des fantômes aux mauvaises trognes le chassèrent à grands
gestes, sans plus de hargne que s’ils voulaient effrayer un chien errant.
    Novelli revint vers la ville, l’esprit bancal. Il lui sembla
que depuis le matin de ce jour les appuis de sa vie s’étaient peu à peu dérobés,
que le monde, maintenant, s’ouvrait sur des espaces sans bornes et que ses
routes intimes ne conduisaient plus nulle part. Il pensa à la fille nyctalope
rencontrée rue du Puits-Creux. Il se sentit pareil aux hommes qui la suivaient :
ignorant et aveugle. Il appela timidement une conductrice invisible pour son
âme, mais se retint d’imaginer son visage, et se dit avec une grande mélancolie
qu’il n’avait en vérité rien à craindre ni à espérer. Demain, son travail de
justice le remettrait sur un chemin ferme et sûr. Il retrouverait sans aucun
doute son savoir indiscutable.
    Ses pas le conduisirent, sans qu’il l’ait clairement voulu, à
la porte du Bazacle. Il y avait là une recluse, une fille sainte qui s’était
fait emmurer dans un coin de rempart, pour ne plus fréquenter que Dieu, et ne
parler qu’à Lui. Elle vivait des rares nourritures que les voyageurs lui
offraient au travers d’un guichet, en échange de ses prières. Elle ne voyait du
monde que ces mains providentielles et passagères. Novelli l’avait connue, autrefois.
Il allait souvent lui parler, la joue contre la muraille, la bouche près du
trou d’ombre par où lui venaient l’air et les bruits du dehors. Il priait avec
elle, lui parlait des choses quotidiennes, lui donnait aussi des nouvelles de
sa mère et du fils qu’elle avait eu d’un viol, à quinze ans d’âge. Il l’aidait
à chercher le Ciel, parmi les excréments de son réduit. Elle ne répondait
jamais à ses paroles, ne posait aucune question, mais il savait qu’il n’était
séparé d’elle que par l’épaisseur du mur. Il entendait parfois son souffle et
des murmures de psaumes, quand il se taisait.
    Il s’agenouilla sous la haute voûte sarrasine et se mit à
réciter à

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