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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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bibliothèque, au
fond du couloir, elle était encore au pied des marches, et le regardait.

5
    Le lendemain matin, l’inquisiteur Novelli s’en fut de
mauvais cœur au Château Narbonnais, où le tribunal ecclésiastique devait
entendre un homme obscur accusé d’avoir plusieurs fois succombé au péché de
sodomie dans le lit de quelques notables. Frère Guillaume Pélisson s’était
chargé d’instruire son procès, et comme à son habitude avait empli plusieurs
pages du registre de récits méticuleux à l’excès et de témoignages inutiles. À
l’évidence, cet Arnaud de Vergnes (c’était le nom du sodomite) ne méritait
pas la peine scrupuleuse que l’on avait prise à faire l’inventaire de sa vie :
c’était un criminel de piètre envergure, quoique très odieux. Novelli entra
donc dans le parloir de la Viguerie excédé d’avance d’avoir à juger si
petitement, et bien décidé à ne point se laisser trop longtemps encombrer l’esprit
par les ridicules misères de ce couillon pervers. Il salua à la ronde ses gens,
tendit à un moine sa cape tout empreinte de l’air frais du dehors, fit taire
les bavardages en quelques coups d’œil noirs et s’avança vivement, déjà pressé
d’en finir, vers la longue table à tréteaux où seule sa cathèdre était encore
vide. Deux greffiers accoururent pour lui tendre son siège et l’aider à s’y
caler à l’aise. Il s’installa, eut un geste agacé contre un rayon de soleil qui
lui venait en plein visage, et ordonna que l’on tire le rideau devant la
fenêtre, tandis que frère Pélisson, assis à sa droite, poussait devant lui le
registre ouvert avec un maigre sourire de bienvenue. Novelli, qui avait déjà lu
les feuillets que l’autre lui désignait du doigt, les parcourut distraitement
en se demandant comment ce doux frère grisonnant pouvait être aussi timide et
bavarder sur parchemin avec une abondance si ronde et fleurie. Comme il
tournait les pages en soupirant et marmonnant de-ci de-là des bribes de lignes,
frère Bertrand de Pomiès, à sa gauche, se pencha à son oreille et lui
reprocha son retard, d’un ton d’aimable sarcasme. Cet homme jeune et pourtant
voûté ne pouvait s’empêcher de grincer, même quand il se voulait amical. Jacques,
qui détestait ses manières, lui répondit avec une courtoisie exagérée qu’il
avait, avant de venir, visité Salomon d’Ondes dans les décombres de sa boutique,
où le juif avait décidé de loger.
    — Prenez garde à lui, monseigneur, c’est un rusé, murmura
l’autre en confidence.
    Novelli haussa les épaules, eut une grimace de dédain et dit,
en faisant mine de se replonger dans sa lecture :
    — Croyez-vous que je sois naïf, frère Bertrand ? Sachez
que je le tiens ferme au bout d’une corde très courte, et que je le conduirai
où je veux, pour peu que ces procès de basse justice me laissent quelque loisir.
    Et frappant des doigts la table, il ordonna que l’on prie, tandis
qu’un moine et deux soldats allaient chercher Arnaud de Vergnes.
    Quand il entra, poussé devant par les soudards, Novelli, qui
ronronnait dévotement, les mains jointes contre le front, ne leva pas tout de
suite la tête. Il attendit, surveillant son monde d’un œil à demi ouvert, que
cessent les raclements de pas sur les dalles et que vienne cette sorte de
recueillement impitoyable qui suffisait parfois à faire tomber les accusés à
genoux, effarés et sanglotants. Un instant, il pensa à ce qu’il devrait dire à
Salomon, quand il le reverrait, et se sentit bouillonnant de paroles
convaincantes. Puis, contrarié de devoir, pour l’heure, oublier le discours qui
lui venait, il poussa un long soupir, laissa tomber sur la table ses mains
croisées et regarda Arnaud de Vergnes. L’homme avait bien résisté à l’épreuve
du silence. Il ne semblait même pas effrayé : il examinait, autour de lui,
vaguement curieux, les gens et les lucarnes. Quand son regard rencontra celui
de Novelli, il eut un bref salut de la tête et un sourire de politesse
empressée, comme s’il rencontrait un haut personnage de sa connaissance en
quelque lieu public. Jacques en fut piqué, et considérant le malandrin avec un
intérêt narquois, il ordonna d’un geste à un clerc de s’approcher avec le livre
des quatre Évangiles. Alors frère Bertrand de Pomiès récita l’ordinaire
formule du serment de vérité. L’accusé, après lui, la répéta, sans arrogance ni
servilité, la main droite

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