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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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fort la basse-fosse humide.
    Novelli le bouscula pour entrer, porta roidement son fardeau
de misère jusqu’au milieu de la chambre. Les prières cessèrent aussitôt, et
dans l’air parfumé d’encens les moines à genoux le regardèrent avec une
inquiétude étonnée. Quatre cierges brûlaient aux quatre coins du lit. Le vieil
Arnaud respirait encore, à longs râles doux. Le chanoine se pencha vers son
visage, lui dit à voix basse et pressante que son neveu l’inquisiteur était là,
mais il ne parut pas l’entendre. Alors l’ecclésiastique s’empressa au-devant de
Novelli avec de grands gestes de majordome, et voulut le ramener sur le palier
pour le débarrasser de cette mendiante qui l’encombrait, et de ce petit mort au
creux de son ventre, comme si leur présence en ce lieu était une offense grave
à l’ordre noble du trépas, et à sa propre personne toute confite en tristesse
pieuse. Novelli lui ordonna de le laisser en paix, d’une voix si forte que l’autre
en resta bégayant et horrifié. Puis il s’en alla déposer la pauvre femme sur un
tabouret, au chevet du lit, et la soutenant aux épaules, car elle était hébétée
et geignait faiblement comme dans un mauvais sommeil, il se retourna à demi
vers les moines.
    — Allez donc préparer une chambre et des tisanes et des
serviettes propres pour cette malheureuse, leur dit-il. Faites aussi chauffer
une bassine d’eau. Ses jambes et ses pieds sont malades, ils ont besoin d’être
lavés. Pour mon oncle, je dirai les prières qu’il faut. Ne vous souciez plus de
lui, car il n’a plus souci de vous, s’il en eut jamais.
    Il attendit que les trottinements effarouchés s’éteignent
sur le plancher, et que la porte se referme sans bruit. Quand il fut seul, il
se mit à bercer la femme pour apaiser l’effroi de cauchemar où elle se
débattait. Il lui caressa la figure avec une tendresse d’amant, la réchauffa
contre sa poitrine. Puis, comme il levait la tête pour s’éloigner un peu de sa
puanteur et reprendre haleine, il vit que le visage de Novelli le Vieux, sur l’oreiller,
s’était tourné vers lui. Ses yeux étaient toujours fermés mais il semblait
sourire. Novelli le Jeune se pencha, le sang se mit à cogner durement dans ses
tempes. Il resta un moment à l’affût d’un signe, d’une parole, mais l’autre ne
bougea pas. Alors il lui dit, à mi-voix :
    — Mon oncle, m’entendez-vous ?
    Les paupières du cardinal s’ouvrirent à peine, un trait
luisant et pâle apparut entre elles, un râle s’exténua entre ses lèvres
lentement décollées. « Il me faut lui dire, pensa Jacques, il me faut lui
dire maintenant ce que je dois. » Il fit un grand effort pour retenir les
tremblements qui l’envahissaient, et se mit à parler sans même savoir si les
mots sortaient vraiment de sa bouche, car son esprit lui échappait à chaque
battement de cœur.
    — Mon oncle, mon oncle, dit-il, je suis venu avec une
pauvre putain mendigote et un enfant mort que j’ai trouvés devant la porte du
couvent. Il fait grand vent dehors, et la nuit est belle. Quand je les ai vus, l’idée
m’a traversé qu’ils attendaient votre âme, là, dans la ruelle, pour la conduire
je ne sais où. Il m’a semblé qu’il y avait entre vous une parenté secrète, ou
une très ancienne promesse d’amitié. Je vois maintenant que leur présence ici
est plus heureuse et juste que celle du chanoine et de ses moinillons. Peut-être
suis-je égaré dans des rêveries pitoyables, mais tel est mon sentiment à cette
heure de séparation où je tremble devant vous. Croyez-moi, oncle Arnaud, votre
existence fut bonne. Bénies soient vos femmes, vos vanités innocentes et les
sciences aimables dont vous avez nourri votre esprit. Mais la seule bonté ne
fait pas un homme pleinement accompli, vous savez cela. Il y faut aussi cette
misère répugnante qui fait douter du sens de nos vies. Je vous l’apporte, mon
oncle. Voici la plus basse douleur du monde, épousez-la, et désormais confiez-vous
à elle seule. Je dépose cet enfant mort dans ses loques merdeuses sur votre
oreiller propre, il est la souffrance incompréhensible, il est l’injustice, il
est la trahison du Père. Que votre dernier souffle soit pour l’amour de lui et
de personne d’autre. Accueillez cet enfant comme votre frère très intime. Alors
vous pourrez entrer dans l’épouvantable obscurité de Dieu avec la pleine
confiance de ceux qui savent tout aimer. Paix sur vous, mon

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