L'inquisiteur
long de sa route, huma cette
fièvre pieuse, du haut de son cheval, avec une satisfaction de gourmet. Il
avait toujours admiré le cardinal Novelli pour son grand savoir, il s’était plu
à l’aimer pour sa bonté paillarde comme un fils indulgent et peut-être envieux,
mais le lent épuisement du vieil homme avait usé et adouci sa peine de le
perdre. Il ne songeait qu’à sa bouleversante inconvenance au bord de la mort. Se
pouvait-il que ce miraculeux vieillard soit tombé en sainteté subite ? Le
peuple le croyait, le tour était beau et l’évêque Gui, respirant par la ville
ce parfum de foi ranimée, en avait le cœur tout gonflé de chaleureuse
mélancolie. Il n’en était pas moins fort perplexe. Arnaud Novelli n’avait
jamais éprouvé, pour les prestiges divins, qu’une considération moqueuse, et
pour les pauvres une affection certaine, mais distante. Comment l’idée de cette
folie avait-elle pu germer dans sa cervelle mourante ? Gui remua un moment
cette question dans sa tête, sans en trouver l’issue. Il ne put qu’imaginer
Novelli le Vieux penché sur lui, du haut de son ciel, riant de son embarras, et
se sentit comme un élève moqué par son maître. Tandis qu’il bénissait la foule
qui l’acclamait, sa vie, tout à coup, lui parut terne et vaguement honteuse.
Quand il fut dans la chambre mortuaire, parmi l’encombrante
assemblée des moines et la fumée des encensoirs, il trouva que le défunt avait
une belle figure d’aïeul tendre, avec son avorton de mendiante, tout vêtu de
blanc, serré contre son cœur. Il renifla quelques larmes puis s’agenouilla à
son chevet et pria sans conviction, levant plusieurs fois la tête, à la dérobée,
pour regarder le visage paisible du cardinal, sur l’oreiller, comme s’il
espérait un clin d’œil de malice. Il ne s’attarda guère. Il avait hâte d’entendre
Novelli le Jeune lui conter la dernière heure de son oncle, dont il avait été
le seul témoin. Jacques devait être malheureux et revêche comme un fagot d’épines :
il était toujours ainsi quand il ruminait quelque douleur. « Il m’enverra
au diable, se dit Gui de l’Isle. Qu’importe. » Son compère le
préoccupait beaucoup depuis quelque temps. Il lui semblait moins raide mais il
était, assurément, plus exalté, flamboyant, parfois, à faire peur. Gui pensa, dans
une soudaine bouffée d’angoisse, que son seul frère en ce monde couvait
peut-être une grande maladie d’âme. Il laissa son attirail d’évêque à ses
clercs et s’en alla au couvent des frères prêcheurs, chevauchant à toute bride
le long de la Garonne, parmi le peuple insouciant.
Il trouva Jacques Novelli dans la bibliothèque en compagnie
de Stéphanie. Ils étaient en conversation très animée et s’interrompirent quand
le gros Gui, tout essoufflé, apparut sur le seuil. Jacques le regarda bouche
bée, comme s’il était pris en faute, mais le voyant décontenancé, il eut
aussitôt un geste d’agacement et lui tourna le dos. L’autre s’avança pesamment
dans la salle, inquiet et ne sachant que dire. Stéphanie, toute craintive, en
profita pour trotter vers l’ombre du couloir. Et comme Gui, troublé par sa
fuite précipitée, se tournait vers elle, l’air surpris, elle le salua d’un
semblant de génuflexion avant de fermer la porte. Il pensa que Novelli venait
de l’informer des crimes commis par Jean le Hongre à Castelsarrasin, qu’il
était en grande colère contre ce bandit, et qu’il avait sans doute pris des
décisions excessives, comme à son habitude. Pourquoi diable l’aimait-il avec
tant d’inquiétude, malgré les rudesses qu’il lui faisait subir ?
— Jacques, dit-il, je suis d’un piètre courage devant
la douleur, tu me connais assez pour savoir cela. J’arrive à l’instant de la
Daurade avec la simple envie de te serrer dans mes bras, rien de plus, mon bon
frère. La mort de ton oncle me peine, et sa volonté de se faire enterrer avec
un enfant de pauvre femme me remue terriblement l’esprit. À vrai dire, notre
vieil Arnaud me fait peur, depuis que je le sais au Ciel, vivant dans la paix
des Bienheureux et attentif à nos actes. Sans doute sait-il lire nos pensées, maintenant,
et je nous sens, toi et moi, très indignes de son regard.
— Ne crains pas, ricana Novelli en faisant mine de s’intéresser
aux parchemins qui encombraient son lutrin. Et ne m’agace pas à me chanter la
gloire de ton saint Arnaud. C’est moi qui l’ai
Weitere Kostenlose Bücher