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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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maître pour flairer
ses moindres humeurs, l’examina en hochant la tête, l’air inquiet. Il n’eut pas
de peine à deviner, aux frémissements de son visage, aux lueurs de son regard, le
grand chagrin qui le rongeait. Il pensa que Novelli était venu se réfugier en
ce lieu pour s’abandonner, loin des compassions de convenance, à la douleur d’avoir
perdu son oncle. Il renifla bruyamment.
    — Frère Novelli, n’ayez pas tant de peine, dit-il. Souffrir
tout doux, c’est aimer comme il faut, mais se tourmenter trop amèrement, c’est
manquer de confiance en Dieu. Votre parent fut un homme d’heureuse nature. Faites
donc en sorte que sa bonne figure vous soit comme un soleil au cœur, et vous
fortifie dans votre travail de vivant. Vous êtes jeune, et de foi bien trempée,
je le sais. De belles œuvres vous attendent, de grandes joies aussi, pour peu
que vous renonciez à cette solitude cuisante où vous vous complaisez trop
souvent, et que vous appreniez à sourire, car vous ne savez pas : vous
grimacez du nez, et je n’ai jamais vu dans vos yeux de ces bontés tranquilles
qui rassurent le monde. Allons, il est grand temps de quitter cette poussière. Pardonnez-moi
de vous avoir parlé ainsi, j’en ai quelque vergogne, mais je crois bien que
notre saint cardinal, qui ne cesse de me traverser la tête depuis sa mort, m’a
poussé les mots en bouche.
    Il descendit de l’échelle et Jacques le suivit, tout remué d’affection
pour ce gros naïf qui n’avait pas un instant soupçonné le désastre amoureux
dont il souffrait. Il en fut rassuré : son mal était bien enfoui, inviolable.
Du coup, il se sentit capable d’affronter avec son assurance coutumière le
regard de ses semblables, d’autant que les paroles de frère Bernard l’avaient
ravigoté. Il faisait mine d’en être fâché, cheminant par les couloirs, l’air
hautain et douloureux, flanqué du bon moine qui s’essoufflait à se tenir à sa
hauteur, s’inquiétait de son profil terrible et n’osait plus dire un mot. Mais
en vérité la lourde nuit de son esprit s’étoilait, à chaque pas, de plus en
plus vivement. « Cet âne a raison, pensait-il. Je me creuse trop et ne me
confie pas assez au bon vouloir du grand vent qui me gouverne, et qui me
conduira sûrement, un jour prochain, vers Stéphanie, car je ne peux l’avoir à
jamais perdue. Elle est ma sœur de feu, mille diables. Dieu sait que nous avons
été cloués ensemble par la même foudre. Quel mal me fait cette femelle ! Elle
me reviendra, après l’inévitable débandade de sa troupe de gueux, je sens cela.
Sinon j’irai la chercher sur le champ de bataille où son frère la conduira
bientôt, je l’arracherai au cadavre de ce mysticailleur de ruisseau, je la
traînerai par la tignasse dans la merde des morts s’il le faut, mais je la
ramènerai ici, et nous vivrons ensemble ce que nous devons. Entends-tu, oncle
Arnaud ? Je donnerai congé à Dieu, comme tu l’as fait, pour l’amour de
cette femme. Es-tu content de moi ? »
    À la porte du jardin, frère Bernard fit halte et bafouilla, en
désignant à son maître la lumière dorée du crépuscule, son intention de l’abandonner
là. Par le battant entrebâillé, Novelli aperçut un homme, sous un vaste
feuillage, qui s’occupait à tailler quelque gravure sur un tronc d’arbre, de la
pointe d’un couteau. Il reconnut Vitalis, le nouveau serviteur de Salomon d’Ondes.
Il retint frère Bernard par la manche et lui demanda d’un ton rude ce que
faisait là ce malandrin. L’autre lui répondit :
    — Nous sommes bons amis. Nous aimons converser ensemble,
comme vous le faites avec le juif, des choses divines, des bontés et des
douleurs de la vie. Parfois, il parle comme en songe. Il me fait rire : il
prétend que Dieu est le rêve des pauvres, et le diable la folie des puissants. J’essaie
de le convaincre qu’il se trompe, mais il est un parleur habile. Il m’apprend
aussi des chansons, des jongleries, et je lui lis les paraboles des Évangiles, qu’il
écoute avec de grands soupirs de bonheur. Nous passons du bon temps.
    Vitalis, apercevant les deux hommes sur le seuil, était venu
vers eux, nonchalamment. Il salua l’inquisiteur avec un grand respect, et son
ordinaire insolence railleuse dans le regard. Comme il restait exagérément
courbé devant lui, Novelli l’empoigna par les cheveux et lui demanda si Salomon
était retourné à la synagogue depuis sa sortie de prison.
    — Non, Dieu

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