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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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semaines. En ce temps-là son cœur ne s’emballait pas au
nom de Stéphanie, Salomon d’Ondes vendait du drap rue Jouzaigues, Arnaud vivait
et lui-même allait tous les jours au Château Narbonnais condamner sans grand
souci des malfaiteurs épouvantés. Dix-huit jours étaient passés, à peine le
temps que les bourgeons verdissent. Il dit à haute voix la dernière question qu’il
avait posée à un certain Jean de la Borde, pauvre bouvier accusé d’hérésie
manichéenne. La phrase sonna comme une outre vide à ses oreilles. Il la répéta
d’une voix plus sonore et pénétrée. Une envie de rire très amère lui vint. Quel
homme était-il donc dans cette vie lointaine où il travaillait dur et ne rêvait
jamais ? Il se souvint de son grand corps maigre et tremblant d’un rien, de
son esprit sans cesse irrité par les sots et les timides qui ne savaient parler
clair, prompt à se scandaliser des manquements aux règles pieuses, férocement
ancré dans la stricte logique, soucieux jusqu’à la hargne de ne point se salir
les mains ni les vêtements, sans amour d’aucune sorte sauf pour l’implacable
Dieu de gloire qui le tenait en laisse. « Quelle foudre a donc réduit en
cendres cet homme que je fus, et par quel miracle suis-je pourtant vivant, charnu,
souffrant, joyeux ? se disait-il, parcourant les feuillets du registre et
retrouvant de-ci de-là des lambeaux de sa vieille peau bavarde et sèchement
sonnante. Comment ai-je pu vivre ainsi ? Je suis mort, en vérité, et
ressuscité. Mais d’où me vient cette vie nouvelle que je me sens dans ce cœur, dans
cette tête dévastés ? Novelli le juge cachait si bien ses souffrances qu’il
pouvait se croire invulnérable dans sa foi. Moi j’ai l’âme meurtrie, saignante,
et je ne suis plus sûr de rien. Novelli le juge était un terrifiant pourfendeur
de renégats. Moi je suis un homme de chair enragé d’amour. Novelli le juge se
voulait droit. Je m’espère bon. Il voulait mériter les honneurs promis. Je les
ai découverts haïssables. Suis-je plus heureux que lui ? Non. Mais Dieu m’est
témoin que j’aimerais mieux courir les bois comme un loup jusqu’à crever de
soif et de misère plutôt que de me voir pape dans la carcasse de Novelli le
juge. » Il ferma le cahier et s’en alla pousser du pied les bûches à demi
consumées dans la cheminée. Le feu bondit en un soudain ronflement. Il le
contempla longtemps, à nouveau rêveur, et se mit à répéter en lui-même :
« la vie, la vie », ce seul mot à chaque souffle de sa poitrine, cherchant
dans sa simple musique la saveur d’un sens impossible à dire.
    Des bruits tout proches, dans le couloir, le ramenèrent
brusquement au monde. Il s’entendit appeler, reconnut la voix de frère Bernard
Lallemand et ouvrit la bouche pour demander qu’on le laisse en paix, mais avant
qu’il ne parle l’autre lui dit, avec la fausse jovialité dont on accable
parfois les malades, que maître Salomon d’Ondes était là et l’invitait à une
promenade à l’orme de l’Oratoire. Aussitôt, le cœur tonnant, il se précipita, entrebâilla
la porte et risqua sa figure, cherchant du regard son ami très cher. Il avait l’air
d’un homme que l’on vient de tirer du sommeil.
    — Pardonnez-moi, lui dit Salomon, l’air embarrassé et
souriant à peine, si vous désirez rester seul nous reviendrons plus tard.
    — Non, non, répondit vivement Novelli. Oh, Vitalis, vous
êtes là aussi ?
    Le bateleur hocha la tête avec une vigueur rieuse et frère
Bernard fit de même contre son épaule, en le poussant du coude. Ces deux
compères et le juif, dans la pénombre du corridor, avaient dans les yeux une
chaleur d’amitié émouvante, un peu craintive. Novelli, les voyant ainsi
gauchement plantés, fut pris de petits sanglots illuminés et vint vers eux, les
mains tendues. Alors les autres, rassurés, se détendirent soudain et voulurent
tous parler en même temps.
    — Je vais à la cuisine chercher du pain et du fromage, dit
frère Bernard, et peut-être un tonnelet de vin, si vous le permettez, mon
Jacques. Il fera bon boire et manger sous l’orme. Attendez-moi, cria-t-il, courant
déjà par les couloirs.
    — Je ne suis pas allé au pré de l’Oratoire depuis le
temps où j’y accompagnais monseigneur Arnaud, dit Salomon. L’envie m’est venue,
tout à l’heure, d’y retourner en votre compagnie. N’est-ce pas une bonne idée ?
Vous avez grand besoin, maître Novelli, de

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