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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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basculer en pauvreté. C’est la loi du Ciel : au plus haut du
jour, la nuit commence. Deuxième degré de la sagesse : parce que vous avez
perdu, vous voici maintenant gagnant. Le dénuement vous fait remonter en
richesse. C’est la même loi du Ciel : le jour commence à minuit, au plus
noir des ténèbres. Il est des milliers de degrés à gravir. On entrevoit, peu à
peu, des ponts entre les sentiments contraires, d’étranges vérités sur les
hauts et les bas, la vie et la mort, et l’on pressent que si l’on pouvait
atteindre l’ultime sagesse du jeu, les deniers danseraient tout seuls dans le
ciel. Nous n’aurions plus qu’à les contempler. Tenez, maître Novelli, je vous
les rends. Je ne veux pas voler un inquisiteur qui boit du vin et rit
aimablement aux jongleries d’un bateleur.
    Il lui tendit sa main pleine de pièces et Novelli, ébahi, rougissant,
joyeux, s’aperçut que sa bourse, à sa ceinture, était ouverte et vide.
    — N’est-ce pas qu’il parle bien ? dit frère
Bernard, les joues gonflées de mangeaille et le regard empli de merveilles. Mais
tu as beau dire, Vitalis, ajouta-t-il après boire, ta parabole n’est pas juste.
Je n’ai jamais vu un noble, en ce monde, tomber par excès de richesse en misère
de serf, ni un serf anobli pour trop de pauvreté.
    Il éclata de rire, à demi saoul déjà, et secoua Novelli d’une
bourrade lourdement assénée. L’autre le rabroua. Les yeux du moine, alors, tombèrent
en soudaine contrition, et il s’empressa d’offrir à son maître une tranche de
pain tartinée de fromage.
    — Je ne parle pas pour ce monde, dit Vitalis d’un ton
de parade foraine. Je méprise ses lois, j’exècre ses principes, je conchie sa
gloire. Et vous, monseigneur Novelli ?
    — Des haines m’y tiennent, répondit Jacques la bouche
pleine. Mais elles s’éteindront bientôt, si Dieu veut. En vérité, le souci de
justice m’y tient aussi. J’aime les hommes, et je les voudrais bons. Je suis
sans doute très orgueilleux. Le fromage est parfait, frère Bernard.
    — J’ai pris aussi des galettes sucrées, murmura l’autre,
en confidence.
    — Non, je ne parle pas pour ce monde, dit Vitalis, comme
s’il s’adressait aux herbes du pré. Je parle pour la vie qui tourne et qui bat
dans nos corps, et nous monte à la tête, et nous descend au ventre, et sans
cesse nous affûte des envies basses, de hauts désirs. Dans ce monde ne bougent
et ne bataillent que des apparences. On ne peut s’y préoccuper que de ruser
pour survivre, de parer les coups, de fuir ou de mordre quand on se sent menacé.
Seuls, les puissants et les grands brigands confondent la vie et le monde. Ils
sont fous : ils croient que pour atteindre le paradis il suffit de poser
son cul sur la tête des pauvres et de les cravacher pour les pousser au ciel.
    — Ce matin, à la cathédrale, dit Novelli, les gens m’ont
fait peur. Ils m’ont semblé plus vides d’âme que le corps de mon oncle Arnaud
dans son cercueil. Une sorte de mort terrible, que je n’avais jamais pressentie,
glaçait la face des nobles, rôdait dans les bavardages des petits notables et
pesait même, par malheur, sur la nuque des clercs. Tous étaient comme des
diables polis. Je les croyais ensorcelés. Rien de libre ne vivait en eux, rien
d’abandonné, ou de simplement espérant.
    — Ce qui rend effrayants les masques du pouvoir est l’irrémédiable
absence d’amour, dit Salomon.
    — C’est pourquoi je ne veux plus être de ces hommes qui
gouvernent leurs semblables.
    — Hé, que nous chantes-tu là, Jacques ? dit frère
Bernard. Il faut aux peuples des âmes bien trempées comme la tienne pour tracer
les chemins et nous guider en bon ordre, sinon nous ne serions que des bêtes
perdues. Je t’interdis de penser encore à déserter les honneurs qui te viennent.
Bois, frère, tu en as grand besoin.
    — Je ne sais si des maîtres sont nécessaires aux villes,
aux pays, aux rêves de chacun, dit Vitalis, mais s’ils doivent être, pour que
la vie n’en souffre pas trop il faudrait les tenir à l’écart dans des
léproseries de grande allure, comme des gens dangereux et dignes de pitié. Car
l’absence d’amour sur leur figure, quand ils parlent au peuple, fait d’eux les
plus misérables parmi les hommes. Et certes, si nous devons nous garder, par
charité, de maudire leur malheur intime, au moins conviendrait-il de ne point
vanter ces infirmes comme les meilleurs d’entre

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