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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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croisés sous le menton, lui
baisaient des bagues enviables. Il en fut accablé, tout à coup étranger dans
cette assemblée où n’était pas son esprit, où sa foi se perdait, où ses plus
simples espérances en Dieu se défaisaient à chaque pas. Il lui parut qu’il n’avait
jamais connu ces gens pourtant familiers. Il regarda les bouquets de cierges
qui ornaient le chœur. Au bout de l’allée était une croix démesurée peinte sur
une tapisserie noire tendue entre les piliers. Devant elle, des candélabres
éblouissaient le maître-autel orné de dentelles. Au pied de cette sainte table
était le cercueil du vieux mort, posé sur des tréteaux, environné de fumées et
de cierges que tenaient des moines. Jacques le trouva humble, fragile, beau, il
le vit émouvant comme un mal vêtu égaré sous de trop riches feux, et lui vint
soudain le sentiment que la seule chaleur d’âme dans cette cathédrale était là,
sous cette planche lisse, et peut-être le seul vivant véritable. Partout
ailleurs, parmi la foule des puissants, n’étaient que boursouflures, vanités, gueules
faussement graves engoncées dans leurs bajoues. Il prit place dans les stalles
sans se soucier des saluts compassés du sénéchal de Toulouse et du comte de
Foix qui tenait à lui seul deux places, tant ses fourrures étaient larges et
ses cuisses écartées sous la bedaine. « Oncle Arnaud, se disait-il en
grands sanglots rageurs, garde-moi de ces fauves, garde-moi d’être jamais de
leur confrérie, garde-moi de succomber à cette maladie de pouvoir qui efface l’âme
des regards et m’effraie plus qu’une lèpre. Je veux rester vivant, Dieu du Ciel,
je veux rester vivant ! » La noblesse, à ses côtés, le vit pleurer, le
dos raide sur son siège, le visage impassible, et l’on se murmura que la peine
filiale de ce jeune homme était bien émouvante, mais qu’elle ne convenait pas à
la dignité d’un prochain prélat.
    Gui de l’Isle lui apparut soudain dans un brouillard de
larmes entre les candélabres de l’autel. Quand le gros évêque ouvrit les bras
pour dire la messe, Novelli baissa la tête et ne voulut plus le regarder. Il
resta ainsi immobile et muet tout au long du service funèbre, les poings fermés
sur ses genoux, le crâne empli du chant des autres, de leurs amen profonds, et de la rumeur déferlante de leurs agenouillements. À la fin de l’office,
Gui fit du cardinal un éloge lent et sonore. Il glosa hypocritement sur la
piété du défunt et son amour des miséreux, s’attarda entre les phrases pour
écouter tonner sa belle voix sous la voûte, mais parla de sa bonté avec assez
de retenue pour que Jacques ne le haïsse pas.
    Arnaud Novelli fut enseveli derrière le chœur, sous une
dalle sans ornement, ainsi qu’il l’avait désiré. Son neveu resta agenouillé
près d’elle, tandis que les gens quittaient l’église sans oser le troubler. Il
était apparemment recueilli en prière. En vérité, il ne désirait parler à
personne, et derrière ses mains posées sur son visage il ne fit que ressasser
sa haine des puissants. Peu à peu, avec le silence lui vint la paix, et il put
se dire calmement qu’il n’irait pas plus loin dans sa carrière de grand
ecclésiastique, que son chemin de gloire finissait ici, dans cette pénombre de
fond de nef, derrière la haute tapisserie qui embrumait les lumières maintenant
inutiles de l’autel. Il imagina ce qu’il lui restait à faire. Il en fut d’avance
fatigué. Il lui faudrait tout à l’heure sortir au soleil, marcher parmi la
foule, dire à ses moines qu’il les quitterait bientôt, écrire au pape pour lui
demander la permission de n’être plus qu’un pauvre. Après quoi il tenterait de
rejoindre Stéphanie par des chemins qu’il n’avait jamais courus seul. Pour quel
avenir ? Son esprit se perdit dans une grande confusion d’images et de
mots.
    Il sentit un manteau le frôler. C’était Gui de l’Isle. L’évêque
s’accroupit près de lui, le prit par le cou et lui dit :
    — Regarde qui est venu saluer ton oncle.
    Il leva la tête et vit en face de lui, à l’autre bout de la
dalle, le grand corps un peu voûté de Salomon d’Ondes. Novelli se dressa, tremblant,
souriant, les yeux à nouveau pleins de larmes, vint vers lui, voulut lui serrer
les mains. Mais quand il fut à le toucher, un grand élan le poussa et il
étreignit le juif de toutes ses forces, en sanglotant :
    — Soyez béni, soyez béni, vous êtes le

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