L'inquisiteur
poing sur poing contre leur poitrail. Des gens se
bousculaient entre leurs épaules comme à des fentes de palissades, se désignant
le Grand Inquisiteur de Toulouse et contemplant la procession de moines qui le
suivaient en chantant des miserere dans le sonnement lent et bourdonnant
des cloches. Des voix de femmes, à leur passage, entonnèrent la litanie, qui se
répandit un instant parmi le peuple, portée par des visages indistincts dans l’air
poussiéreux. La foule débordait jusque sur les tuiles des galeries basses qui
cernaient le parvis, où des enfants perchés faisaient de grands signes au monde.
Novelli les aperçut au loin, craignit qu’ils ne tombent, gronda contre eux dans
son cœur. Ils semblaient si fragiles et turbulents !
Il entendit, dans la rumeur, des cris de matrones qui les
réprimandaient en agitant les bras au-dessus des coiffes.
Il en fut rassuré, goûta la nonchalance de fête qu’il
sentait derrière les cuirasses et les scintillements des fers de lances, puis
il vit de grands oiseaux planer lentement au-dessus de la façade de la
cathédrale où des tentures funèbres, déroulées du bord du toit au ras du sol, claquaient
au vent. Il n’était plus qu’à quelques pas du portail. Marchant roidement vers
cette haute gueule béante il flaira soudain une méchanceté qui lui assécha le
cœur. Le soleil était bon pourtant, et parfumé de souvenirs de paille chaude. Il
s’en emplit le corps, d’un grand soupir goulu, avant de pénétrer dans la
saoulante odeur d’encens de l’immense caverne.
De la voûte peinte d’étoiles pendaient au bout de grosses
chaînes des roues de fer piquées de cierges innombrables dont les flammes
mouvantes illuminaient d’or lourd, jusqu’au tréfonds de la nef, des
magnificences écrasantes. Le haut vaisseau bourdonnait sombrement. Novelli, les
mains jointes et la tête basse, s’avança sur le tapis pourpre entre les piliers
ornés d’étendards. En ce fond d’église se tenaient debout les notables de la
ville, pressés en foule grave, vêtus d’habits de parade, couverts de
clinquailles et l’allure avantageuse sur leurs talons excessifs. Marchant à pas
lents vers les stalles nobles où était sa place, il entendit frémir les
brocarts et papoter les bouches sur son passage, vit se pencher des têtes aux
oreilles voisines et se sentit scruté sans vergogne, caressé, léché des yeux, envié,
soupesé comme viande à l’étal par cette assemblée de petits puissants rusés, épais
ou méchamment pointus, orgueilleux ou circonspects selon l’humeur des
candélabres et l’ombre des toques fanfaronnes. Il était l’homme qu’il se
fallait fourrer en manche, désormais. On se vantait à mines entendues de le
bien connaître, on supputait à voix basse les pouvoirs nouveaux que ne
manquerait pas de lui donner le pape (qui devait, comme nul n’ignorait, son
élection aux manigances du vieil Arnaud Novelli) et l’on se demandait à mi-mot
quelles richesses, terres et abbayes avait laissées le cardinal à cet unique
héritier. Jacques se sentit si durement blessé par ces bavardages d’âmes
creuses et ces servilités assassines qu’une terrible révolte lui monta peu à
peu des entrailles et lui mit le feu à la cervelle. Il suffoqua dans ses poings
croisés, gémissant, comme s’il priait : « Que vienne l’apocalypse, seigneur
Dieu, que tombe à l’instant la malédiction du Ciel sur cette basse-cour d’abominables
pendards ! » L’envie lui vint de faire face aux murmures de ces
boursouflés et de leur cracher une tempête de haine à faire s’envoler les
chapeaux, à mettre en lambeaux les fourrures et les tuniques brodées sur les
poitrines, à disperser ces figures dans les ténèbres de velours qui couvraient
les murailles. « Oncle Arnaud, oncle Arnaud, se dit-il encore, comment
peux-tu tolérer de pareils charognards en notre compagnie ? Délivre-moi de
ces gens, ils me ravagent la bonté d’amour que je porte vers toi, ils me vident
le cœur. Chasse-les, par pitié, que nous pensions tranquillement l’un à l’autre ! »
Maudissant ainsi le monde en lui-même, il parvint sous les lustres où étaient
les gens de robe et les vit tous, abbés, prieurs, frères, doyens et chantres, courber
le dos comme il passait, et se renfoncer ostensiblement dans leurs patenôtres. Eux
aussi, maintenant, l’imaginaient dans leurs ronronnements en pourpre, en or, en
gloire, et d’avance, le regard oblique, les doigts
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