Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
compagne il aperçut
Jean le Hongre, qu’elle cachait. L’homme était à genoux dans un creux herbu, entre
les arbres jumeaux, les bras en croix, lié aux deux troncs par les poignets. Sa
robe de moine n’était plus qu’une guenille tenue par des lambeaux aux épaules, à
la taille par une corde. Il grelottait. Quand il vit apparaître Jacques
derrière le corps de sa sœur, une passion magnifique s’alluma dans ses yeux, et
pour mieux distinguer ce grand personnage qui lui venait, il remua dans la
pénombre, étira ses deux bras pendus comme des ailes misérables, et sa jeune
figure de pur ermite, auréolée de rousseurs bouclées, vint dans la dernière
lueur du jour. Ils restèrent un moment à se regarder. Jacques pensa :
« Il a l’air d’un ange blessé », et le Hongre, hochant la tête au
bout d’un long chemin de pensées tumultueuses, murmura :
    — Ainsi, c’est toi.
    Ces seules paroles firent bondir le cœur de Novelli. Il se
sentit troué, prit la main de Stéphanie comme pour s’assurer qu’il n’était pas
seul, et se donner courage. Elle se pencha de côté, leurs tempes se joignirent
et il vit qu’elle pleurait en silence. Il la fit asseoir près de lui, dans l’herbe.
Le Hongre les regarda avec un sourire aigu, attentif à la bonté des gestes, à l’abandon
confiant de sa sœur, aussi ravi que s’il savourait la découverte d’un sentiment
longtemps imaginé, mais son regard brillait trop, Jacques en éprouva un malaise
sournois. Il n’osa pas tenir sa compagne enlacée devant cet homme excessif dont
il craignait, étrangement, le jugement. Il dit, s’adressant à Stéphanie :
    — J’ai parlé au capitaine de la troupe. Demain, nous
ramènerons ton frère à Toulouse. Il ne sera pas pendu, il ira en prison, et le
temps aidant, peut-être parviendrons-nous à le faire oublier.
    Le Hongre poussa en avant son corps comme s’il s’échinait à
tirer un fardeau trop lourd pour son pauvre corps loqueteux et dit, souriant
encore avec une douceur à faire trembler un bourreau :
    — Je veux mourir ici, Novelli. J’exècre la prison. La
mort est une bonne mère.
    Stéphanie se retourna brusquement, en entendant un bruit de
pas et de voix dans la nuit tombée. Elle se dressa d’un bond, craignant que des
soldats viennent les persécuter. Ces fossoyeurs et roteurs de soupe lui
faisaient horreur. Elle soupira, rassurée :
    — Ce sont tes amis.
    Salomon et Vitalis vinrent s’asseoir sans un mot dans l’herbe
à côté de Novelli, et regardèrent le prisonnier avec une gravité captivée. Ils
semblaient contempler un animal sacré. Jean le Hongre se tourna vers Jacques.
    — Qui sont ces gens ? dit-il.
    — Je suis le serviteur d’un juif, répondit Vitalis.
    Et Salomon, paisiblement :
    — Je suis le juif.
    Il plissa les yeux pour tenter de voir, à travers l’ombre, si
ces mots altéraient le visage de cet étrange barbare qui haïssait son peuple. Le
Hongre, lui aussi, se mit à l’examiner avec une curiosité très affûtée. Chacun,
un instant, chercha comme un assoiffé quelque chose dans le regard de l’autre. Ils
parurent se brûler soudain et se détournèrent en même temps. Frère Bernard
Lallemand entraîna Stéphanie vers les buissons proches. Personne n’osa parler
en leur absence. Ils revinrent avec une brassée de bois qu’ils disposèrent
entre le prisonnier et ces hommes assis en face de lui comme des juges
paisibles. Le moine s’accroupit, se frotta vigoureusement les mains en disant :
    — Il fait froid, et battit son briquet d’étoupe.
    Le feu grimpa bientôt parmi les brindilles, éclairant les
figures. Novelli dit :
    — Je suis venu t’aider, Jean.
    — Il est trop tard, répondit le Hongre. Je pars demain.
Je suis très impatient d’entrer dans le pays des morts. J’espère y trouver du
nouveau.
    — Ne fais pas le fanfaron. Je t’offre la vie.
    Jean le Hongre se tourna vers Stéphanie, lui dit :
    — Ne peut-il comprendre que je n’en veux pas ?
    Frère et sœur se regardèrent au travers des flammes, restèrent
tendrement captifs l’un de l’autre, et Novelli vit soudain sur leurs visages
ressemblants une sorte de dévotion, une commune lumière dans leurs yeux, une
complicité de brigands célestes familiers des mêmes hauts vents qui le fit
tomber en désarroi, en grande jalousie fascinée aussi : ces deux-là devant
lui se faisaient serment sans paroles de se retrouver un jour, non point dans
un vague au-delà

Weitere Kostenlose Bücher