L'Insoumise du Roi-Soleil
ceux de leur âge avec la même préciosité que leurs aînés.
D’autres carrosses se présentaient et réclamaient la place pour livrer leur lot de courtisans. Je m’apprêtais à accoster sur cette île étrangère quand je vis que certains possédaient un billet d’invitation. Mon cœur se mit à battre. Je n’avais rien. On allait me questionner. On me houspillerait. Les visages se tourneraient vers moi et on se moquerait de la perruche. Le rouge me monta aux joues. Alors, un valet ouvrit ma porte et m’invita, d’un geste révérencieux, à descendre. Il s’inclina légèrement et, en redressant la tête, me montra l’escalier.
— Le marquis de Penhoët vous attend.
Une main s’avança vers l’intérieur du carrosse. « Venez. » C’était lui.
Il profita de ma descente pour me détailler. Un coup d’œil de bas en haut, un autre plus appuyé sur ma gorge dénudée, un sourire discret au coin des lèvres. Il sembla rassuré. Sans doute avait-il reconnu la robe de la marquise de Sévigné.
— Prends cette rose aimable comme toi, Qui sert de rose aux roses les plus belles, Qui sert de fleur aux fleurs les plus nouvelles, Qui sert de Muse aux Muses et à moi ... Pourquoi, en voyant cette toilette, ces mots ne me viennent-ils que ce soir ?
— Ce n’est pas de vous, monsieur le marquis, souris-je, mais du poète Ronsard. Et vous auriez tort de croire que la marquise de Sévigné ne les apprécierait pas.
Il me baisa la main et, en se redressant, leva un sourcil :
— Vous marquez un point.
— Il m’en faudra bien d’autres pour ne pas tomber dans vos embuscades.
Plutôt que de répliquer, il désigna de la tête l’escalier des Ambassadeurs où se pressait la foule :
— Le danger ne vient pas de moi, très chère. Nous voilà dans le tourbillon de Charybde. Au premier étage, nous trouverons les récifs de Scylla. Vous affronterez un mal pour un autre qui sera pire encore
— Alors, j’implore votre protection. Donnez-moi le bras, monsieur le marquis.
De tous les courtisans présents, lui seul était vêtu de gris, de blanc et de noir.
Nous franchîmes les trois grilles de bronze doré qui ouvraient sur l’escalier. En levant les yeux, je vis, incrusté dans le plafond, une large ouverture qui donnait sur la voûte céleste. Le toit découvrait le ciel. Aux premiers rayons, le soleil devait illuminer ce théâtre. Le marquis me serra le bras :
— Ne regardez pas tout ainsi. Et faites attention à vos pieds. Nous arrivons aux marches.
La première volée de l’escalier était encombrée de gens qu’il fallait parfois pousser du coude pour ne pas retomber en arrière. Je comptai onze marches avant de parvenir à un repos décoré d’une fontaine dont les pieds forgés représentaient deux monstres aquatiques. L’allégorie antique se poursuivait par l’élévation d’un double bassin accueillant dans sa partie supérieure la sculpture d’un dieu qui me sembla être Poséidon jaillissant des eaux pour séduire Amphitrite. Mais n’était-ce pas plutôt Apollon ? Le marbre blanc cendré de rouge étincelait sous la lumière des candélabres. Et au-dessus du bassin, dans l’axe où, le jour, le soleil éclairait au zénith, trônait le buste de Louis XIV sculpté par Jean Warin. De part et d’autre de cette reproduction frappante, le mur était habillé de pilastres qui eux-mêmes encadraient d’immenses tableaux où étaient rassemblés les habitants de chaque continent du monde. Dans les scènes peintes, ils se précipitaient pour voir passer le roi. Ces faux personnages étaient des figurants. Ils restaient postés derrière une balustrade. Mais la nuit, ils surplombaient la scène de l’escalier où s’entassaient les courtisans nimbés dans la lueur des lustres. Et tous les acteurs, vrais ou faux, se fondaient dans ce décor inventé pour la gloire de Louis XIV.
— Allons, il faut avancer, ordonna le marquis de Penhoët.
Le repos constituait seulement un palier dans l’ascension vers les sommets. Là-haut, il y avait l’étage des appartements et c’était le firmament. Mais pour y accéder, il fallait escalader une seconde volée de marches plus imposante encore.
— Nous prendrons à droite.
L’escalier se divisait en deux. Les commensaux en firent autant en partant à l’assaut de la station suivante. Nombreux progressaient du côté de la rampe décorée d’or. Ils voyaient ainsi qui était encore en bas. Et saluaient les retardataires ou les
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